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M. Guizot qualifiait alors de mauvais procédé, et qu’il veut bien aujourd’hui appeler une offense. Depuis ce moment, M. Guizot lui-même a proclamé à plusieurs reprises que le temps des alliances intimes était passé, et que la politique, non pas temporaire, mais permanente de la France, lui commandait le maintien absolu de son indépendance. Changeant soudainement d’attitude et de langage, M. Guizot vient proposer aujourd’hui de renouer les liens brisés en 1840, et d’aliéner une portion quelconque de cette indépendance, qui, l’an dernier encore, lui paraissait si précieuse. Il vient proposer en outre que l’offensé fasse le premier pas vers l’offenseur. C’est d’abord faire assez bon marché de la dignité de la France et de sa juste susceptibilité. Cela pourrait pourtant se justifier, si un grand intérêt le commandait, et si l’union intime des deux pays avait produit ou devait produire incessamment quelque résultat considérable ; mais l’entente cordiale dont on s’applaudit, dans quelle partie du monde existe-elle réellement ? Si c’est en Espagne, cette entente y est bien nouvelle, bien douteuse, puisque tout récemment encore l’Angleterre soutenait Espartero, et la France les ennemis d’Espartero ; puisque, d’ailleurs, en supposant les questions politiques résolues, les questions commerciales subsistent, et que ces questions suffisent pleinement pour entretenir entre les deux pays une constante rivalité. Si c’est en Grèce, il est impossible de ne pas se rappeler qu’il y a quatre mois à peine deux légations se traitaient en ennemies, et que, si elles marchent d’accord en ce moment, c’est parce que M. Piscatory, en homme d’esprit et de cœur, n’a pas craint, un certain jour, de compromettre sa responsabilité. Que veut-on dire, d’ailleurs, quand on affirme qu’en Grèce comme en Espagne les intentions des deux gouvernemens sont les mêmes, et leurs instructions identiques ? Tout le monde sait qu’en Grèce comme en Espagne l’Angleterre a toujours eu, même au temps où l’alliance florissait, des vues opposées à celles de la France. Or, si des deux puissances, l’une a renoncé à sa politique traditionnelle, il est difficile de croire que ce soit l’Angleterre, et si c’est la France, il n’y a pas de quoi se vanter. Quant aux instructions, tout le monde sait encore qu’il y en a toujours de deux sortes, celles que l’on montre et celles que l’on ne montre pas, les unes officielles, les autres confidentielles. Quand, il y a deux ans, M. de Salvandy fut obligé de quitter l’Espagne par suite d’une difficulté d’étiquette, il y avait une lettre ostensible de lord Aberdeen, qui donnait raison à M. Guizot, et chargeait le ministre d’Angleterre à Madrid de soutenir M. de Salvandy. Or, malgré la lettre ostensible, le ministre d’Angleterre à Madrid