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quelques-unes de ces 45 voix ; mais ce serait un travail stérile, et il est plus simple de reconnaître qu’à cette époque il y avait dans la chambre, au moins jusqu’au jour où l’opposition reconstituée serait en mesure de prendre elle-même le pouvoir, une majorité décidée à laisser vivre le cabinet. Cette majorité était-elle également décidée à le laisser gouverner ? C’est une autre question. M. Duchâtel, qui paraît penser qu’un cabinet, quand il vit, gouverne toujours assez, a trouvé la distinction fort ridicule. « Fallait-il donc, s’est-il écrié, que le cabinet se retirât parce que la loi des monnaies était rejetée ? » Non sans doute ; toutefois, en parlant ainsi, M. Duchâtel oubliait qu’outre la loi des monnaies, et sans rappeler l’enquête électorale et le droit de visite, le cabinet avait vu rejeter ou modifier profondément dans le cours d’une seule session quatre lois de chemin de fer, la loi du roulage, la loi du rachat des canaux, la loi des sucres, la loi des ministres d’état, le crédit pour les établissemens de l’Inde, ainsi que plusieurs autres crédits, c’est-à-dire à peu près toutes les lois d’un grand intérêt politique ou matériel. Il oubliait que dans les deux questions même qu’il lui plaisait de citer après coup comme questions de cabinet, celle de l’effectif et celle des îles Marquises, le ministère n’avait pu entrer au port qu’en jetant à l’eau une portion de son bagage. Il oubliait enfin qu’à une époque peu éloignée, M. Guizot et lui s’étaient fait une arme contre un autre ministère d’échecs bien moins graves et bien moins nombreux.

Quoi qu’il en soit, puisque le ministère d’une part et la majorité de l’autre trouvaient cette situation suffisamment digne et régulière, rien n’empêchait qu’elle se prolongeât en 1844 comme en 1843, surtout si, en 1844 comme en 1843, l’opposition restait désunie et presque silencieuse. Quand, au lieu de concentrer tous ses efforts sur quelques points, l’opposition se plaît à les diviser, à les éparpiller selon le caprice de chacune des fractions qui la composent ; quand, ce qui est plus fâcheux encore, elle dépense en rivalités, en jalousies intestines, tout ce qu’elle a de puissance et de vitalité, il est bien clair en effet que le parti du ministère en profite pour se grossir et se consolider. En outre, l’expérience de tous les temps démontre que, dans les gouvernemens représentatifs, l’opposition ne vit et ne se fortifie que par la parole publique. L’opposition n’a point entre les mains la masse d’emplois et de faveurs à l’aide desquels le pouvoir est maître de satisfaire les ambitions et les vanités individuelles. Elle ne dispose pas davantage de tous ces fonds communs, qui, distribués plus ou moins arbitrairement dans le pays, entraînent et modifient tant de convictions.