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réalité à travers de vaines apparences. Sous quelques faux semblans plus ou moins spécieux, ces hommes distinguaient très nettement une politique stérile au dedans, faible au dehors. Ils savaient aussi qu’une telle politique, quel que fût son succès passager, ne peut convenir long-temps à la France, dont elle mine, dont elle détruit à la fois la grandeur et les institutions ; mais au milieu de l’abattement des esprits et de la fièvre des intérêts privés, ces hommes doutaient que le jour du réveil fût venu. S’ils comptaient faire entendre de généreuses protestations, c’était donc sans espoir d’un résultat immédiat et pour préparer un meilleur avenir ; c’était aussi pour accomplir leur devoir envers eux-mêmes et envers leur pays. Ainsi, ministériels et opposition, tout le monde s’accordait sur un point : c’est que le cabinet n’était pas quant à présent sérieusement menacé, et que, selon toute probabilité, il traverserait facilement la session.

Depuis ce moment, aucun évènement extérieur ou intérieur n’est survenu. De plus, une adresse préparée par une commission presque exclusivement ministérielle a été votée sans un seul amendement. Cependant il n’est personne qui ne sente que la situation respective des partis est notablement modifiée. Il n’est personne qui ne voie que le parti ministériel, malgré sa victoire, est inquiet, troublé, travaillé par de sourds mécontentemens et des divisions intestines, tandis que l’opposition, malgré sa défaite, est pleine de confiance, d’énergie, d’activité. Il n’est personne enfin qui ne dise que le cabinet a reçu de cruelles blessures et qu’il est douteux qu’il survive long-temps. D’où vient un changement si prompt et si complet ?

Beaucoup de causes y ont concouru ; mais ces causes peuvent toutes se réduire à deux. L’opposition, malheureusement divisée depuis dix-huit mois, a senti le besoin de se réorganiser, et s’est réorganisée. Le ministère a trouvé le moyen d’accumuler en trois semaines plus de fautes qu’il n’en aurait fallu jadis pour tuer trois ou quatre cabinets, des fautes qui ont fait toucher au doigt les erreurs fondamentales et les vices de sa politique. La réorganisation de l’opposition et les fautes récentes du ministère, voilà donc les deux faits qu’il s’agit d’abord d’examiner et de mettre en lumière. Il sera bon de rechercher ensuite ce qu’il convient de faire dans la situation nouvelle des partis, et comment la France peut sortir d’une situation pleine de difficultés et de périls.

En 1842, après une session où les diverses nuances de l’opposition constitutionnelle avaient paru se réunir sur un terrain commun, la chambre, on le sait, fut dissoute, et toutes les opinions durent se sou-