Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 5.djvu/639

Cette page a été validée par deux contributeurs.
635
SOUVENIRS D’UN NATURALISTE.

à double courant d’air. Ils construisirent des appareils à quatre mèches concentriques abreuvées d’huile par un mouvement d’horlogerie dont le pouvoir éclairant est tellement considérable, qu’un seul d’entre eux équivaut à vingt-deux des meilleures lampes Cartel. Fresnel substitua aux miroirs de Borda, où la lumière est concentrée par réflexion, des lentilles que les rayons traversent et qui les amènent par réfraction dans la direction voulue. C’était toute une révolution.

La surface la mieux polie, frappée par une certaine quantité de lumière, en absorbe à peu près la moitié. L’autre moitié seule est réfléchie, et par conséquent peut être utilisée. En traversant une glace d’épaisseur médiocre, la même quantité de lumière ne diminue que d’un vingtième environ. Ces faits bien connus avaient déjà fait essayer en Angleterre l’emploi des lentilles de verre semblables à celles qui arment une loupe ordinaire Or, en leur conservant cette forme, on était obligé de leur donner beaucoup d’épaisseur et dès-lors la lumière, en les traversant, s’éteignait encore plus que dans les réflecteurs métalliques. Aussi cette tentative, dont l’auteur même est inconnu, n’avait-elle eu aucune suite. Afin de surmonter cette difficulté, Fresnel eut l’idée de décomposer ses lentilles en plusieurs élémens. Celui du centre fut une lentille ordinaire d’un assez faible diamètre, et par conséquent peu épaisse. Il forma les autres avec des prismes disposés tout autour en cercles concentriques, et dont les courbures étaient façonnées de manière que leur foyer coïncidait avec celui de la lentille elle-même. Tailler et polir ces grands cercles de verre eût été chose impossible : Fresnel les construisit de pièces séparées qu’il réunit avec de la colle de poisson. Ainsi se trouva réalisée une des conceptions de notre illustre Buffon, dont le génie semble avoir embrassé toutes les sciences. Lui aussi avait eu la pensée de faire des lentilles à échelons ; mais, croyant nécessaire qu’elles fussent d’un seul morceau, il en avait regardé l’exécution comme impossible. La gloire de l’invention revient donc tout entière à Fresnel, et cela à d’autant plus juste titre, qu’il ignora les idées de Buffon jusqu’au moment où il eut réalisé ses propres conceptions théoriques.

Pour comprendre toute la supériorité du nouveau mode d’éclairage sur celui que donnent les miroirs de Borda, il suffit de jeter les yeux sur les chiffres suivans : une lentille à échelons, de 75 centimètres de diamètre, éclairée par une seule lampe à quatre mèches, porte les rayons à 12 lieues de distance ; elle projette vers l’horizon 8 fois plus de lumière que le meilleur réflecteur, et l’effet qu’elle produit dans la