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Mais cet avantage même entraînait un inconvénient des plus graves. Ce cylindre de lumière présentait à peu de chose près le même diamètre que le miroir lui-même. Comparé à l’espace des mers, ce n’était plus qu’un simple rayon dans la direction duquel il fallait se trouver placé pour apercevoir le phare. L’invention de Borda aurait dont été inutile sans une idée fort ingénieuse due à un ancien maire de Calais nommé Lemoine. Celui-ci imagina de placer l’appareil de Borda sur un axe mobile dont le mouvement de rotation présente successivement le miroir vers tous les points de l’horizon. L’observateur placé à une grande distance n’aperçoit le phare que pendant le temps employé par le cylindre de lumière réfléchie pour passer devant ses yeux, puis il tombe dans l’obscurité. Cette dernière circonstance, bien loin de nuire à l’effet qu’on se propose, présente au contraire de grands avantages. En disposant autour d’un même axe un certain nombre de réflecteurs munis chacun de sa lampe particulière, on obtient à chaque révolution de la machine autant d’éclats lumineux qu’il y a de miroirs, et entre chacun d’eux il reste un espace de temps où l’on est plongé dans les ténèbres. En variant le nombre et la durée de ces intervalles, on peut individualiser pour ainsi dire un certain nombre de phares, condition bien essentielle à remplir, puisque seule elle permet aux navires qui arrivent du large de reconnaître le point précis de la côte qui se trouve en vue, et par suite de se diriger en conséquence. Ces phares, dont le fanal paraît et disparaît ainsi alternativement, sont appelés phares à feu tournant ou phares à éclipses.

Malheureusement, l’éclairage de Borda ne s’applique qu’aux phares de cette espèce. On ne peut pas l’employer dans les phares à feu fixe, c’est-à-dire dans ceux qui doivent être visibles à la fois de tous les points de l’horizon. Ces derniers sont pourtant nécessaires, car on ne peut varier assez les éclipses et les éclats pour donner à chaque fanal un caractère particulier propre à le distinguer de tous les autres. Il restait donc beaucoup à faire. Depuis bien des années, il existait en France une commission des phares, dont les membres, occupés de mille autres fonctions, n’avaient presque rien fait pour la solution du problème, lorsque M. Arago proposa de se charger des expériences à condition qu’on lui adjoindrait M. Mathieu, et Fresnel, que ses admirables découvertes sur les propriétés de la lumière semblaient désigner d’avance pour s’occuper de cette question. Grace au zèle désintéressé de ces trois hommes de science, on obtint de rapides et nombreux progrès. MM. Arago et Fresnel, en suivant les idées de Rumfort, perfectionnèrent d’une manière tout inattendue la lampe