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changer de place, il allonge au dehors son long ruban de couleur sombre, terminé par une tête assez semblable à celle d’un serpent sans en avoir ni la large gueule, ni les dents redoutables. L’œil n’aperçoit aucune contraction, aucune cause apparente de ce mouvement, et le microscope seul peut nous apprendre que la némerte glisse dans le liquide au moyen de cils vibratiles excessivement fins qui hérissent toute la surface de son corps. Elle hésite, elle tâtonne, et finit par découvrir, quelquefois à quinze ou vingt pieds de sa première demeure, une pierre qui lui convient. Alors elle se déroule peu à peu pour se transporter dans son nouveau domicile, et, à mesure que le peloton se dévide sur un point, il se roule et se noue à l’autre extrémité. Ajoutons tout de suite que la contractilité des tissus de cet animal est tellement considérable, qu’une némerte de trente pieds conserve à peine un dixième de cette longueur après son immersion dans l’alcool, et n’a plus que deux pieds et demi ou trois pieds.

Tous les grands appareils de la vie sont représentés dans l’organisation des némertes, mais tous y sont réduits à leur plus simple expression. Le système nerveux ne forme plus cet anneau œsophagien regardé pendant long-temps comme caractéristique. Il se compose de deux ganglions latéraux d’où partent deux cordons s’étendant jusqu’à l’extrémité du corps et ne fournissant que de très petits filets. Deux grands vaisseaux placés sur les côtés accompagnent ces troncs nerveux, un troisième serpente sur la ligne médiane : tous trois sont simples et ne présentent aucune ramification. La bouche consiste en un orifice circulaire à peine visible ; elle s’ouvre dans une longue trompe en boyau séparée par un étranglement de l’intestin terminé en cul de sac. Ainsi la même ouverture sert à introduire les alimens et à rejeter au dehors les résidus de la digestion. Comme pour compenser le peu de développement de ces organes, les ovaires placés des deux côtés du corps présentent au contraire des dimensions très considérables. Au reste, cette circonstance à elle seule est un indice d’infériorité pour l’animal qui la présente. En effet, ces espèces dégradées sont exposées à mille chances de destruction dans la première période de leur vie : plus tard, elles sont généralement destinées à servir de pâture à des espèces plus élevées. Aussi la nature pourvoit-elle largement à leur multiplication. Plusieurs d’entre elles, à l’époque de la gestation se transforment littéralement en sacs ovigères. Pour le cas particulier dont nous parlons, je ne saurais estimer le nombre d’œufs que produit une némerte de huit à dix pieds, à moins de quatre ou cinq cent mille.