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SOUVENIRS D’UN NATURALISTE.

appelé branchie ou poumon, selon qu’il est intérieur ou extérieur. Le sang se montrerait à nous, tantôt renfermé dans les vaisseaux, tantôt répandu dans le corps entier et baignant de toutes parts les organes qu’il doit nourrir. Nous verrions des besoins de toute sorte faire naître une multitude d’instincts et nécessiter des appareils organiques variés de cent manières différentes, et chacune des classes que nous avons nommées plus haut s’entourerait, sous nos yeux, d’un système de groupes dépendans de types divers, dont les derniers représentans se confondent pour ainsi dire sur les limites de ces petits mondes.

Les insectes, les myriapodes, les arachnides, les crustacés, comprennent les articulés les plus parfaits. Les annélides et les vers, qui forment la seconde grande division de cet embranchement, celle des articulés annelés, appartiennent à des types très inférieurs. Aussi varient-ils bien davantage et dans leurs formes extérieures et dans leur organisation. Dans mes souvenirs de Chausey, j’ai cherché à donner une idée du groupe des annélides errantes, ces amazones guerrières, à l’humeur vagabonde, à la vie indépendante. Je ne vous ai rien dit de leurs sœurs, les annélides tubicoles, modestes recluses qui au sortir de l’œuf commencent à se construire une demeure d’où elles ne sortiront jamais. Cette habitation, que la propriétaire allonge et élargit d’après les besoins de sa taille, est un tube tantôt calcaire, tantôt composé d’une matière assez semblable à du cuir ou à du parchemin mouillés. Il enveloppe exactement l’annélide, qui monte et descend dans son intérieur sans avoir besoin de se replier sur elle-même, car ses pieds sont construits de telle sorte qu’ils se meuvent avec la même aisance et la même rapidité dans les deux sens. Ces animaux passent donc leur vie dans une position assez semblable à celle d’un enfant au maillot. Exactement fermé en arrière, leur tube présente antérieurement une ouverture circulaire, seule fenêtre par où nos solitaires peuvent jeter un regard sur le monde qui les entoure, saisir au passage la proie qui doit leur servir de nourriture, et exposer leur sang à l’action vivifiante de l’eau qui remplace pour elles l’air que nous respirons. Aussi ne les traitez ni de curieuses, ni de coquettes en les voyant montrer presque constamment leur tête si richement parée. Profitez au contraire de cette habitude qu’entraîne la nécessité pour observer de plus près ces formes merveilleuses. La loupe, le microscope, sont ici inutiles. Placez seulement dans un vase d’eau de mer ce morceau de roche, cette vieille coquille dont la surface s’est couverte de serpules, de vermilies, de cymospires. Voyez s’élever avec une prudente lenteur, au-dessus de chaque tube, cette petite plaque ronde qui