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SOUVENIRS D’UN NATURALISTE.

plus élevés jusqu’au règne, qui embrasse toutes les divisions secondaires appelées sous-règnes, embranchemens, classes, odres, familles, tribus et genres. Trouver la subordination de ces groupes divers, reconnaître leurs rapports vrais par une exacte appréciation de leurs ressemblances et de leurs différences, mesurer en quelque sorte leur plus ou moins de proximité et d’éloignement, tel est le problème que s’est posé la science de nos jours, problème d’une difficulté immense, vers la solution duquel nous marchons sans doute, mais, il faut bien le dire, avec une lenteur qui tient au fond même des choses.

Il s’écoulera bien des siècles peut-être avant que les naturalistes aient une connaissance assez complète de tous les animaux pour pouvoir établir définitivement ces groupes primaires, secondaires, tertiaires. Il en est pourtant quelques-uns que dès aujourd’hui on peut regarder comme bien fixés. Or, lorsque nous étudions un de ces groupes vraiment naturels, lorsque nous en pesons et apprécions tous les caractères, notre esprit se crée, pour ainsi dire, involontairement l’image d’un type idéal ou virtuel qui réunirait ces caractères au plus haut degré possible. Entre ce type et sa manifestation dans les espèces existantes, il y a toujours une différence. C’est ainsi que l’homme et la femme n’ont jamais présenté la réalisation complète des beautés que les peintres et les sculpteurs ont rêvées, qu’un petit nombre d’entre eux ont imparfaitement réussi à retracer sur la toile ou à ciseler dans la pierre.

Dans tous les groupes naturels, on rencontre un certain nombre d’espèces qui présentent à un haut degré le cachet caractéristique de leur type. Il en est d’autres, au contraire, chez qui cette empreinte semble s’effacer. Or, les modifications subies par le premier type peuvent être le résultat de trois causes différentes, agissant ensemble ou séparément. Les caractères distinctifs peuvent s’affaiblir et disparaître ; ils peuvent s’exagérer ; ils peuvent se compliquer de caractères étrangers qui viennent à la fois détruire les rapports existans et en établir de nouveaux. Tant que ces altérations ne dépassent pas certaines limites, l’animal, tout en s’écartant de son type virtuel, s’y rattache de près ou de loin. Puis un moment arrive où, ces limites franchies, on voit naître un type nouveau. Lorsque les changemens dont il s’agit résultent de la suppression des caractères essentiels du premier groupe, de l’apparition de caractères très différens ou même opposés, les types ne conservent entre eux que peu ou point de rapports. Il n’en est pas de même lorsque les modifications proviennent seulement de l’exagération ou de l’amoindrissement d’un caractère déjà existant. Alors