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cherche à pénétrer l’intimité de leur structure, à se rendre compte de leur mode d’action, trouveront chez ces êtres simplifiés des données qu’ils chercheraient vainement ailleurs pour résoudre les problèmes que leur a posés la nature. La connaissance approfondie de ces espèces trop long-temps négligées n’est pas moins nécessaire au zoologiste qui, vraiment digne de ce nom, fait marcher de front l’anatomie et la physiologie, qui ajoute à ces deux sciences l’étude des rapports qui relient entre eux les êtres vivans. Qu’on me permette ici de développer ma pensée.

Lorsque, après un premier inventaire des espèces animales, les naturalistes en vinrent à se faire quelques idées d’ensemble, un premier fait, celui de la supériorité et de l’infériorité relative des êtres qu’ils étudiaient, dut les frapper tout d’abord. Comme termes extrêmes de comparaison, ils avaient d’une part les mammifères, de l’autre les vers et les zoophytes. Les nombreux intermédiaires qu’ils apercevaient entre ces deux limites firent naître l’idée d’une série animale non interrompue, s’étendant par une succession de dégradations progressives depuis l’homme, dont l’intelligence et l’organisation perfectionnées comprennent et dominent la nature, jusqu’à l’éponge, jusqu’à ces êtres ambigus que semblent se disputer les trois règnes. Cette doctrine était claire, elle paraissait logique ; elle fut généralement adoptée. Mais la nature, toujours simple dans les lois qui la régissent, l’est bien rarement dans la manifestation de ces lois. Pas plus dans la production des êtres vivans que dans la création des corps organiques, elle ne s’est astreinte à suivre une ligne droite, en laissant le vide à droite et à gauche, au-dessus et au-dessous. Non, elle a créé en tous sens. La science, dans ses progrès incessans, ne tarda pas à reconnaître cette vérité, et de nos jours les mots, — série zoologique, échelle animale, — ne sont plus employés par l’immense majorité des naturalistes que dans un sens figuré et tout relatif.

Si l’unité de la série animale est une chimère, quelle idée générale devons-nous substituer à cette conception de nos prédécesseurs ? Quelques détails deviennent ici nécessaires. Au premier examen d’une espèce quelconque, on aperçut en elle deux sortes de caractères. Les uns l’isolent des espèces voisines et l’individualisent dans l’espace et le temps ; les autres rattachent entre elles un certain nombre de ces individualités et les réunissent en groupes plus ou moins bien circonscrits. Ce que nous venons de dire des espèces s’observe également dans ces groupes élémentaires, et, par l’appréciation des caractères de plus en plus généraux, le naturaliste arrive à des groupes de plus en