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du pays un air d’aisance et de propreté bien différent de la misère, de la saleté généralement regardées comme les inséparables compagnes du paysan bas-breton.

Au milieu de cette riche et riante campagne sont dispersés çà et là de petits groupes d’habitations décorés du nom de villages, et ayant tous des noms où les consonnances en ke et en ec se réunissent d’une manière généralement fort peu harmonieuse pour des oreilles française. Le plus considérable s’appelle le Bourg. C’est là que se trouvent la mairie et l’église, ces deux édifices où, dans le plus humble hameau comme dans la plus fière cité, se passent les plus graves évènemens de la vie humaine. C’est là que sont deux écoles tenues par des sœurs et des frères des écoles chrétiennes. Trois ou quatre cabarets très régulièrement fréquentés le dimanche, un cabinet de lecture où l’on reçoit deux journaux, achèvent d’assurer la suprématie du Bourg et en font réellement la capitale de l’île. Au reste, ici comme dans les autres villages, le pays conserve sa physionomie caractéristique. Les rues, étroites et fort mal alignées, il est vrai, sont constamment très propres. Les maisons, presque toutes précédées d’une petite cour, entourées d’un jardin planté de fleurs et d’arbres fruitiers, rappellent sous bien des rapports les habitations rurales de l’Alsace, cette province la plus réellement riche de la France entière.

La description qui précède s’applique surtout à la moitié méridionale de l’île. Dès qu’on a dépassé la chaussée de Vauban et les premières maisons qui la suivent, le paysage change brusquement ; tout devient plus sévère, plus âpre. Les rochers sont plus nombreux, plus élevés, et, à mesure qu’ils occupent un plus grand espace, la terre perd à la fois en quantité et en qualité. La végétation est moins active, les moissons moins belles ; l’avoine remplace le froment, et finit par abandonner le sol aux ajoncs et aux fougères. Les habitations semblent obéir à la même influence ; elles deviennent de plus en plus étroites et basses : les cours, les jardins disparaissent, et à Kerwavera, dernier village qu’on rencontre en allant vers le nord, ce ne sont plus que de simples huttes en pierre sèche à peine cimentées avec la boue du rivage, et couvertes de gazon. Les habitans eux-mêmes ont dans toute leur personne quelque chose de rude, presque de farouche, qui contraste avec la politesse des gens du sud. Dans le midi, tout le monde parle, ou au moins comprend le français ; au nord, j’ai rarement réussi à me faire entendre lorsque je demandais le moindre renseignement. Bien plus, j’ai su plus tard qu’il y avait encore dans le