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SOUVENIRS D’UN NATURALISTE.

de mètres de large. À l’époque où Vauban parcourut nos côtes pour organiser leurs moyens de défense, il fit jeter entre les deux îlots une large chaussée qui assure à toute heure les communications. Le golfe qui sépare ainsi les deux portions du sud et du nord est une anse boueuse assez bien abritée contre les vents du nord, appelée la Cordère. Toutefois, les marins préfèrent avec raison le Port-Clos, autre petite baie creusée dans la berge la plus méridionale en face des côtes de Bretagne. Ici, la terre qui s’était élevée peu à peu en pente douce en avançant vers la mer, semble s’entr’ouvrir tout à coup et s’allonger en formant deux promontoires escarpés qui se replient comme pour mieux protéger un vaste bassin circulaire. Aussi, lorsque par les plus fortes marées de l’équinoxe et sous l’impulsion puissante des vents, l’Océan tout entier semble se ruer sur l’île et l’entoure d’une blanche ceinture d’écume, dans le Port-Clos la surface de l’eau est à peine ridée par le contre-coup des vagues, que ses digues naturelles rejettent à droite et à gauche.

À l’exception des deux points que je viens de nommer, et d’un ou deux autres où peuvent atterrir de très petits navires, tout le pourtour de l’île ne présente qu’une côte abrupte et rocheuse, où les simples chaloupes ont quelque peine à aborder. Le granite se montre ici sous toute sorte de formes et de variétés, associé à quelques espèces de roches voisines. La pegmatite, dont la décomposition fournit le kaolin, se présente tantôt en minces filons croisés en tout sens, tantôt en masses d’un beau rouge et cristallisée à gros grains. D’autres filons de siénite d’une épaisseur assez considérable sillonnent la masse générale dans une direction assez constante du nord-est au sud-ouest. Çà et là, on rencontre le quartz sous la forme de rognons d’un blanc mat ou de veines aussi transparentes que le plus pur cristal. Quelques grains de fer à l’état d’oxide se mêlent à ces formations rocheuses. Au reste, rien ici ne rappelle la structure homogène et compacte qui a valu au granite de Chausey sa réputation méritée. La roche de Bréhat, fendillée en tout sens, variant de qualité d’un pouce à l’autre, ne saurait être l’objet d’une exploitation sérieuse.

Cette différence dans la structure des roches de Bréhat et de Chausey nous explique celle qu’on observe dans l’aspect général des côtes de ces deux îles. À Chausey, les puissantes assises du granite, lentement désagréges par les courans et les vagues, laissent debout des blocs énormes qui, dans leur désordre, ont quelque chose de sombre et d’imposant. À Bréhat, rien de semblable : les roches isolées méritent tout au plus le nom de grosses pierres. À Chausey, les points où la mer