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L’INDE ANGLAISE.

misérable trône auquel le prince nominal se tient cramponné jusqu’au dernier jour ! Un danger intérieur allait grandir à la longue et menacer l’empire en l’attaquant au cœur ; la race née du mélange des Européens avec les familles indigènes pouvait s’interposer entre les maîtres et les sujets. Le préjugé de la couleur est venu frapper de réprobation toute une classe utile de citoyens, et la refouler au pied de l’échelle sociale ; puis, pour ne ras l’irriter, pour ne pas se l’aliéner d’une façon définitive, on l’a casée dans des positions subalternes, où elle végète assez heureuse de son sort, sous le patronage intéressé des classes régnantes. À elle les emplois d’écrivains dans les bureaux publics, dans les maisons de commerce, côte à côte avec les indigènes.

Dans cette position unique au sein de l’Asie, les Anglais ont-ils amélioré l’état moral et physique des peuples ? Doit-on, avec les uns, applaudir à la conquête qui substitue la domination plus douce d’un gouvernement chrétien à la tyrannie brute d’un despote asiatique ? Mais suffit-il de renverser un trône pour réformer les désordres des mœurs, les abus inhérens au paganisme ? Si Les nations soumises directement à la compagnie ne sont plus pressurées par leurs rois et par leurs ministres, ne doivent-elles pas, tout épuisées qu’elles sont, subvenir aux frais d’une administration nouvelle ? Doit-on, avec les autres, accuser l’Angleterre de tous les maux qui pèsent sur des pays depuis long-temps en proie à un germe de destruction, qui se démembrent au moindre choc d’une puissance établie ? Pas davantage ; mais on peut reprocher à la compagnie d’avoir agi avec un égoïsme révoltant, d’avoir laissé de côté toute idée civilisatrice pour spéculer sur les peuples et sur les provinces, de ne s’être point occupée de mettre un terme à cette misère croissante qui épouvante le voyageur au milieu du luxe effronté dont s’entourent les Européens. On peut lui reprocher de marcher à l’aventure sans semer le bien autour d’elle, de telle sorte que, si sa puissance croulait tout à coup, il ne subsisterait rien qui fût à sa louange dans cette vaste portion de l’Asie.

Quel est donc l’avenir d’une puissance qui s’étend à l’aveugle sans pousser des racines solides, qui s’appuie avant tout sur la faiblesse incroyable des peuples dont elle règle les destinées ? Le gouvernement de l’Inde s’est fait asiatique dans sa politique odieuse, espérant que les nations de ces contrées supporteraient sans indignation des actes auxquels elles seraient habituées. « En 1840, l’héritier présomptif de Bardwan est emprisonné et traité comme un imposteur, parce qu’il réclame l’héritage de ses pères, impudemment vendu pour 25 millions de francs à un de ses oncles. Le radja de Sattarah ne veut