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çaient comme des serpens, souvent sur leurs genoux ou à plat ventre, en rampant à travers les tiges. Quoique incapables, comme tous les Indiens, d’un conflit personnel ou corps à corps, ils avaient du sang-froid et supportaient patiemment le feu. Leur conduite en ce jour et dans toutes les occasions fut admirable. Je ne puis en dire autant du reste de notre petite troupe. Vers sept heures du matin, un premier coup de fusil tiré sur la tête de la colonne produisit une telle confusion dans la partie indigène de l’avant-garde, que les cipayes se mirent à exécuter sans aucun ordre un feu roulant à droite et à gauche sur nos propres éclaireurs. Ce fut avec une peine extrême que nous parvînmes à faire cesser cette fusillade, véritable disgrace pour ces soldats effrayés, qui, dans leur terreur, tiraient sur le fourré devant eux sans apercevoir aucun objet. »

Engagées dans des défilés menaçans, dans des forêts impénétrables, les divisions d’attaque ont à passer sous les balles que lancent sur elles les fusils à mèche des tirailleurs ennemis, perchés au haut des arbres, dans des huttes. Çà et là aussi pleuvent quelques flèches. Sur une crête escarpée s’élève la forteresse de Bakh ; malgré le courage des officiers qui ébranlent les palissades d’une main désespérée, l’assaut est repoussé avec des pertes considérables ; les montagnards ont détruit à peu près les deux premières colonnes ; les vautours par milliers s’entassent sur les cadavres dont le coutelas recourbé des Coorgas a enlevé les têtes. Une odeur pestilentielle monte du fond de ces gorges redoutables où une armée anglaise vient de faire la triste épreuve des désastres qui l’attendent au pays des Afghans. Au milieu de ce triomphe, le radja de Coorg perd courage ; il a peur, non d’un ennemi qu’il vient de battre, mais de la colère grossissante de cette compagnie qui lui enverra sans doute redemander compte de ses légions. Après avoir engagé la lutte, la force morale lui manque pour la continuer. Ce fait explique le succès à peu près certain des armes anglaises dans l’Inde, toutes les fois qu’elles se dirigeront vers ces princes isolés, déjà dépendans, qui n’attendent aucun secours du dehors. Pour la compagnie, il suffira de sacrifier de l’argent et quelques hommes, et tôt ou tard la partie sera gagnée.

À ce souverain victorieux « on laissa la vie et un revenu d’un million, sous la condition de demeurer le reste de ses jours à Bénarès. » Une réduction considérable des impôts attacha au gouvernement anglais ce petit peuple dont l’énergie et la bravoure avait paru redoutables ; un nouveau point d’appui était trouvé pour agir plus sûrement contre les populations des montagnes toujours mal soumises. Cepen-