Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 5.djvu/561

Cette page a été validée par deux contributeurs.
557
L’INDE ANGLAISE.

supercherie d’un raccoleur et le citoyen que le sort appelle sous les drapeaux pour servir pendant quelques années.

Quant aux cipayes, ils sont précisément dans des conditions toutes différentes de celles où se trouve le soldat européen. Là, le brahmane et le paria combattent et manœuvrent côte à côte ; servir dans les armées de la compagnie est un honneur pour l’Hindou. « Les heures du service une fois passées, dit M. de Warren, c’est-à-dire dès sept heures du matin, l’étranger qui traverserait les lignes d’un cantonnement ne se douterait guère qu’il est dans un quartier militaire. Les cipayes quittent aussitôt leur uniforme, vont la poitrine et les pieds nus comme les gens du peuple, en caleçons (paedjamas), la petite calotte sur la tête. Point d’armes entre leurs mains durant tout le jour ; elles sont déposées après l’exercice dans de petits magasins… Non que les officiers se défient de la loyauté de leurs soldats, on ne se défie que de leur sens commun, on les regarde comme des enfans. » Aussi les guerres un peu sérieuses prouvent bien vite quels soldats sont ces cipayes, dont on vante la discipline. Là où le commandement du chef demande à être pour ainsi dire interprété par l’intelligence de chaque combattant, ils hésitent, reculent même, incapables qu’ils sont d’aller au-delà de l’ordre énoncé. Ce n’est pas tout de faire l’exercice avec la précision d’un automate ; il faut, en maniant son arme, sentir ce que l’on peut être avec son secours.

Nommé interprète à la suite d’un examen, le sous-lieutenant Warren vit peu à peu s’abaisser autour de lui cette barrière qui s’était élevée d’abord au mot malsonnant de Frenchman. Trois mois après son arrivée à Bellary, dès le début dans sa nouvelle carrière, voici la découverte que fit le jeune officier : « Dès que je fus jugé capable de prendre mon tour de garde, on me détacha pour commander le poste de la citadelle, confié alternativement aux officiers de sa majesté britannique et à ceux de la compagnie… C’est un service de deux jours, très recherché à cause de la pureté et de la fraîcheur de l’air dont on jouit à cette élévation. En recevant les ordres écrits des mains de mon prédécesseur, et en prenant possession des localités, je fus extrêmement surpris d’y trouver un prisonnier d’état, dont il était assez singulier que mes camarades ne m’eussent jamais entretenu. C’était le nabab, souverain légitime de Karnaul, petite principauté située au nord-est des provinces cédées, et qui à cette époque jouissait encore d’une espèce d’indépendance. Ce malheureux était victime d’une de ces grandes iniquités qui signalent à chaque pas la politique anglaise. À la mort de son père, l’ami et le protégé des Anglais, il avait revendiqué ses