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Cette propension, fort louable en elle-même, nous concilie peut-être l’affection des peuples, mais nuit à l’influence que nous pouvons avoir sur eux par la familiarité qui en est la suite. La discipline de nos armées est aussi toute différente de celle qui régit les troupes de nos voisins. « Quant au corps d’officiers, dit M. de Warren, au lieu d’être une monarchie absolue dont le colonel est le chef, c’est une république avec une hiérarchie et une charte constitutionnelle… Cette hiérarchie n’existe que sous les armes, devant l’ennemi, sur le champ de manœuvre, ou au conseil de guerre. Partout ailleurs, il y a égalité parfaite entre tous les officiers ; ils sont égaux à titre de gentilshommes… Un officier est amené devant un conseil de guerre pour avoir oublié sa qualité de gentleman comme pour avoir manqué à ses devoirs militaires. » Pour entretenir cet esprit de corps, tous les officiers non mariés et ceux dont les femmes n’habitent pas la garnison ont un cercle et une seule table d’hôte en commun (the mess), entretenus par un système de fonds perdu appartenant à la masse. La table d’hôte est comme une parade militaire dont aucun officier ne peut s’absenter, à moins qu’il ne certifie sur l’honneur s’être rendu à une invitation particulière ou avoir été retenu pour cause de maladie. » On conçoit que les fonctions de président, remplies à tour de rôle par tous les officiers, quel que soit leur âge, sont délicates ; elles initient de bonne heure le jeune sous-lieutenant à cette science si raffinée de l’étiquette anglaise. Là, point de discussions, point de conversations sur l’art militaire, mais la causerie du grand monde ; les grades disparaissent ; il n’y a plus de lieutenans-colonels ni d’enseignes, mais des gentilshommes. Un officier est cassé pour avoir dîné avec des sous-officiers ; ceci s’explique quand on songe comment se recrute l’armée anglaise, ce qu’est le soldat anglais, qui trouve dans l’enrôlement « un port de sauvetage sur la route de Botany-Bay ! » Chez nous, le soldat est un militaire qui n’est pas encore officier ; dans l’armée anglaise, c’est un mauvais sujet qui ne le sera jamais. Il y a si peu d’enrôlemens volontaires chez nos voisins qu’on y peut considérer les soldats, et nous tenons cet aveu de ceux qui les commandent, comme des hommes à moitié perdus, auxquels une discipline sévère redonnera les qualités que la patrie réclame d’eux, l’obéissance, le courage, l’honneur. Pour y parvenir, on apprivoisera le militaire en le nourrissant selon les exigences de son appétit d’homme du nord, en le payant bien, en lui ôtant tout sujet de plainte, bien plus qu’en lui montrant la gloire comme récompense de ses services et de ses privations. Il n’y a pas possibilité de conduire de la même façon le soldat enrôlé pour toute sa vie par la