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L’INDE ANGLAISE.

Venait ensuite un khitmadgar (serviteur) conduisant par la main une jeune fille de cinq ans, littéralement écrasée de pierreries ; ses oreilles, son nez, ses bras, ses chevilles, en étaient si surchargés, que ses mouvemens avaient perdu de leur liberté. Son teint n’était ni blanc, ni noir, mais plutôt d’un jaune doré et diaphane ; les cils et les bords des paupières avaient une ombre de sourmah (collyre), qui donnait un air de langueur à ses grands yeux noirs en amandes ; les bouts de doigts étaient teints avec de l’hennah en rose foncé. Elle n’avait point la vivacité ordinaire d’un enfant de cet âge, ne paraissant faire aucun mouvement de sa propre impulsion, mais restant volontiers les yeux fixés sur les étrangers ou sur les danseuses avec un sourire calme et rêveur. »

Nous avons vu, un soir, un de ces enfans transformés en écrin s’endormir oublié sur un sopha : on eût dit une fleur artificielle d’or, de moire, de pierreries. Quant au ministre Chandoulal, petit vieillard rusé et avare, vrai type du banquier asiatique (forcé à la fin de se démettre d’une position que l’épuisement général des revenus publics ne rendait plus tenable), voici l’un des stratagèmes auxquels il avait recours pour acquitter ses dettes. Fort embarrassé de payer à un prêteur une somme de cinq millions de francs, il le prie de rassembler ses notes et de passer à son office pour régler le compte. À peine arrivé, le banquier trop confiant est jeté dans un cachot, où la faim le force à signer un reçu général. « Pendant ce temps, on faisait détruire chez lui tous ses livres de compte, qui auraient pu témoigner contre le ministre devant le résident, sans oublier de saisir le numéraire qui se trouvait momentanément dans la caisse ! » Tel était le ministre chargé de diriger les affaires d’un prince tenu en tutelle par les Anglais. Comment un peuple ainsi pressuré ne demanderait-il pas tôt ou tard à accepter sans examen le joug d’une conquête entière ?

Ce qui répand sur toute cette partie du livre un intérêt particulier, c’est que le territoire du nizam est l’un des moins explorés de nos jours par les Français. On peut le considérer comme le dernier parmi ces vice-royautés puissantes entre lesquelles se partageait l’empire du grand-mogol. Sur cet arbre mort et desséché de la tige aux racines, il demeure comme un fruit plus que mûr, prêt à tomber dans la main qui s’ouvre pour le recevoir.