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L’INDE ANGLAISE.

Enfin, là où une armée dont tous les officiers sont Anglais a remplacé les troupes indigènes, que deviendront les gentilshommes, les grands ? Leurs propriétés sont des fiefs militaires ; ils ne peuvent, sans honte, congédier cet entourage nombreux, composé généralement de serviteurs nés dans la famille. La classe intermédiaire, détruite depuis long-temps par le fait de la féodalité renaîtra-t-elle ? L’industrie locale rivalisera-t-elle avec l’industrie anglaise ? Le cultivateur est-il encouragé à se prémunir par un travail plus assidu contre ces famines qui enlèvent un vingtième de la population ? Le pays se dépeuple et s’appauvrit ; la campagne se change en désert dans maints endroits. À mesure cependant que la contrée perd de ses ressources, les besoins de la compagnie deviennent croissans ; en sera-t-elle donc réduite un jour à nourrir elle-même ces peuples qui l’ont enrichie, qui, pour elle ou par sa faute, se trouveront dépouillés de leur dernière pièce d’argent ?

Un certain faste, cette pompe éblouissante sous laquelle l’Orient cache ses plaies et ses misères, règne cependant encore dans les cantonnemens et dans la ville même d’Hyderabad. Dans les cottages (bangalaws) des officiers, séparés entre eux par les baraques ou les huttes des lignes indigènes, dans ces petits palais ornés de péristyles, on retrouve la gaieté militaire, mais surtout l’étiquette anglaise, plus sérieusement observée dans un pays où le prestige européen est le secret de la force. Le service du contingent est le plus lucratif de toute l’Inde, un capitaine y touche les appointemens que nous donnons à un maréchal de France. Cette double armée qui veille à la sûreté du nizam, à peu près comme la sentinelle placée à la porte d’un donjon veille à celle des prisonniers, se compose de dix mille cinq cents hommes, dont environ treize cents Européens, c’est-à-dire qu’une poignée d’Anglais somptueusement rétribués tient en chartre privée le souverain d’un pays plus étendu que la France. Il y a des faits bien connus qu’on ne répète jamais sans un profond étonnement, et si étranges, qu’on oublie, en les énonçant, d’en rechercher les causes. Mais entrons dans la capitale, et sans suivre le voyageur dans toutes les exhibitions, les danses, les présentations auxquelles il va assister, voyons-le monter sur son éléphant, sur cette masse intelligente qui se laisse conduire par la voix plus qu’aucun autre quadrupède. « Outre le cornac accroupi sur un coussin, derrière les larges oreilles qui s’agitent en éventail, l’éléphant a son laquais, son groom, qui le suit à pied pour faire avec lui la conversation, pour l’avertir des mauvais pas, lui recommander d’être prudent, l’encourager quand il se fatigue,