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glaise en opposant à celle-ci sur leurs marchés des tarifs protecteurs. Cette politique, simultanément adoptée par tous les grands pays du monde, aggrave chaque jour les embarras du commerce anglais ; elle tend à comprimer par une triple opération l’industrie britannique. Dans les contrées que l’Angleterre voudrait voir uniquement appliquées au travail agricole, elle empêche le capital d’être employé à accroître la production des matières premières destinées à être échangées contre la quantité de marchandises manufacturées apportées sur les marchés par le capital plus rapidement accru de l’Angleterre ; elle diminue la demande des produits anglais, en substituant, dans les marchés protégés, des manufactures indigènes aux manufactures anglaises, et elle force le manufacturier anglais à vendre ses marchandises sur les marchés étrangers à des prix inférieurs aux prix obtenus par les produits similaires des manufacturiers indigènes, du montant des droits d’importation qu’il est obligé de payer. Les tarifs hostiles qui enlacent l’Angleterre contribuent ainsi à déprimer chez elle la valeur des produits du travail et à diminuer les revenus de l’industrie.

Le mal inhérent à la situation commerciale de l’Angleterre est donc bien défini ; c’est la diminution progressive des profits du capital et des salaires du travail. Cette diminution résulte de causes qui ne sont pas de simples accidens ; elle est la conséquence de la concurrence naturelle que se font les capitaux anglais, dont la force d’accroissement et de reproduction est plus rapide que la force d’accroissement des capitaux appliqués par les autres pays à la production des matières premières nécessaires à l’industrie britannique. Elle est la conséquence de la concurrence étrangère, qui, par ses progrès continus, va amoindrissant lentement peut-être, mais constamment, la consommation des produits anglais, et qui est secondée dans cette opération par les tarifs protecteurs. Dans cet état de choses, qu’un accident survienne, une mauvaise récolte, un mouvement un peu vif dans la circulation, une crise dans un pays étranger, aussitôt le mal latent éclate avec une effrayante énergie, et ce sont surtout les classes qui vivent de salaires qui en éprouvent les plus douloureuses atteintes. C’est, en effet, principalement sur le salaire que retombe la diminution des revenus de l’industrie, car, lorsqu’une réduction trop forte frappe les profits du capital, le capital se déplace, il émigre, il va dans les autres parties du monde, où des profits suffisans, dont la promesse repose souvent sur des bases illusoires, lui sont offerts, tandis que le salaire représente des masses humaines qui s’augmentent sans cesse, qui se déplacent très difficilement dans les temps prospères, et ne peu-