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humble, Bergier ou M. Frayssinous ? Le parti religieux n’a plus même aujourd’hui ce qu’il avait sous la restauration. L’école monarchique ou mystique a-t-elle dépossédé, dans l’histoire, l’école des libres penseurs ? La philosophie est attaquée au nom de l’orthodoxie ; qu’est devenue la philosophie, qu’est devenue l’orthodoxie elle-même dans les livres publiés sous la bannière du parti catholique ? On parle au nom de l’autorité, de l’unité, et l’anarchie est dans les doctrines ; ici des panthéistes, là des sceptiques illuminés, une affirmation intolérante ou une certitude effrayée qui tremble devant la raison. Les utopistes qui ont inscrit le nom du Christ sur le fronton de leurs systèmes n’ont fait que ressusciter les hérésies des siècles les plus troublés du moyen-âge. La religion, mutilée dans ses dogmes, altérée dans sa morale, s’est pliée à tous les caprices de leurs rêves ; au lieu de la charité chrétienne, ils ont proclamé la fraternité de Babeuf, oubliant qu’il n’y a dans ce monde d’égalité absolue que devant Dieu et devant la mort, et que le christianisme, qui place le bonheur au-dessus des biens périssables, ne pouvait se démentir en réclamant le partage des richesses au nom de la félicité humaine. Les mystiques, les prophètes, les thaumaturges apocryphes, n’ont fait qu’irriter les doutes en outrageant le bon sens, et au milieu de cette mêlée confuse, le catholicisme a été surtout compromis par ceux qui l’affirment souvent sans le comprendre. Cette foi saine et forte qui part du cœur et de l’esprit, et qui seule peut donner l’inspiration, a été remplacée dans la littérature par une religiosité maladive, par une sorte de paganisme mystique qui cherche à concilier les défaillances, les colères des passions humaines et les élans artificiels d’une croyance inquiète. Les publicistes ont cherché avant tout dans le catholicisme le souffle de la vie pour des principes dont l’ame s’est retirée, et en dernier résultat ils ont établi une solidarité compromettante entre la religion et une cause politique à jamais perdue. Aucune doctrine forte et vivante n’est sortie de ce mouvement ; c’est une agitation impuissante, une fécondité stérile, qui se dérobe souvent par sa nullité à l’analyse et à la contradiction sérieuse.

Lorsqu’après avoir cherché les idées, on en vient à compter les hommes, on se demande où sont les grands noms, les noms qui font autorité. Les vieux lutteurs, comme M. de Châteaubriand, ont déposé leur ceste ; ils croiraient déroger en descendant dans cette arène, et ils laissent les hommes nouveaux, qui leur succèdent sans les remplacer, se débattre contre l’impuissance et la faiblesse. En passant en revue les forces que le parti religieux met en ligne, en voyant les mêmes noms se représenter au même instant dans la philosophie, l’histoire, le roman, le journalisme, on se demande si ce n’est pas folie d’espérer la victoire avec une aussi faible armée. Sans doute des écrivains distingués se rattachent à la cause du catholicisme. Il suffira de nommer MM. de Carné, de Cazalès, Foisset, de Champagny, de Cavour, de Montreuil, Ozanam, etc. : ces noms seront acceptés par les hommes sages de tous les partis, parce qu’ils représentent les convictions élevées