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ques sont choisis surtout parmi les administrateurs, et les membres du clergé qui se distinguent dans la prédication restent en général exclusivement missionnaires. Paris appelle de temps en temps de la province les orateurs qui s’y sont fait connaître par leurs succès, et c’est là une épreuve décisive, car les réputations apostoliques ont besoin aujourd’hui, comme les réputations profanes, de la consécration de la capitale. La province, à son tour, tient à honneur d’avoir pour ses carêmes ou ses grandes fêtes patronales des prédicateurs de Paris, et les conseils de fabrique s’imposent à cet effet des sacrifices souvent considérables ; mais les prédicateurs parisiens n’agissent en général que médiocrement sur la vieille piété de la province : il y a même des dévotes qui se permettent de les trouver un peu comédiens, de ne pas les comprendre, de s’étonner qu’ils parlent, comme M. Cocquereau, de Napoléon, et de leur préférer le curé de la paroisse. Quant aux cures de campagne, ils sont, pour la plupart, on peut le dire, au-dessous de la mission que leur impose l’enseignement évangélique, et leur bienfaisance seule fait excuser leur faiblesse. Il y a là cependant un grand et beau rôle ; seulement il faudrait, avant tout, comprendre son auditoire, se mettre à sa portée, à la portée de ses besoins moraux, et ne pas prêcher par exemple le détachement des richesses à de pauvres paysans qui gagnent, dans les jours heureux 1 franc 50 centimes.

Quoi qu’il en soit de l’influence plus ou moins grande exercée de notre temps par la chaire catholique sur le mouvement religieux, influence qu’on a, du reste, ce me semble, singulièrement exagérée, cet enseignement ne pouvait suffire aux sentinelles perdues de la réaction. On a donc cherché une autre tribune, et pour prêcher librement de toute autre chose que de morale et de charité, on s’est jeté sur la presse. Les prêtres, en assez grand nombre même, sont descendus dans cette arène nouvelle ; les mondains s’étaient faits théologiens, les théologiens se sont faits journalistes. Aujourd’hui, pour quelques membres du clergé, le journalisme est devenu comme une sorte de succursale de la chaire, car on a reconnu, et MM. Allignol le disent positivement, que le journal a plus d’influence que le sermon. Il est plus facile d’ailleurs de rédiger au courant de la plume quelques homélies politiques, que de méditer une instruction religieuse vraiment profitable. Cette tendance à intervenir au nom du catholicisme dans la polémique quotidienne est de jour en jour plus marquée ; sur tous les points, la réaction ultra-catholique intrigue et s’agite pour prendre pied dans la presse et y régner par les opinions les plus diverses. Ainsi, il y a peu de temps, on cherchait, à Paris, à fonder une association pieuse qui devait se composer de trente membres au moins, tous riches et actifs, et dont la mission eût été de lancer plus vivement les journaux dans le mouvement ultra-catholique. Voici un fait plus significatif encore, et qui témoigne hautement qu’on ne recule devant aucune alliance. Dans la réunion annuelle des actionnaires du Populaire, organe officiel du communisme, rédigé par M. Cabet, le directeur de ce journal a fait savoir à l’assemblée qu’on lui avait offert le cautionnement