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DU MOUVEMEMENT CATHOLIQUE.

Depuis 1830, pendant ces dernières années surtout, la chaire a pris un retentissement nouveau. Le clergé a compris que la politique, transportée dans le sanctuaire, ne ferait que compromettre sa parole, et, à de rares exceptions près, il s’est renfermé dans l’enseignement religieux. L’autorité ecclésiastique elle-même s’est montrée sévère sur ce point, plus sévère pour les sermons que pour les livres et les journaux, et l’on assure que tout récemment un prédicateur de la maison des jésuites de Paris a reçu de son ordre même des remontrances vives pour s’être permis dans sa chaire quelques digressions légitimistes. Par un contraste remarquable, tandis que l’enseignement des séminaires s’immobilisait dans son passé, l’enseignement par la prédication, en se trouvant face à face avec la société moderne, tentait de se mettre avec elle en rapport plus direct mais ici, comme en bien d’autres points, le clergé a pris souvent l’exagération pour le progrès, et la fougue romantique, traquée par le bon sens et le bon goût, a fait comme les grands coupables du moyen-âge ; elle s’est réfugiée dans l’église, et lui a demandé le droit d’asile. Deux écoles sont aujourd’hui en présence : l’une, l’école de la tradition, procède, par la méthode du moins, des orateurs sacrés des XVIIe et XVIIIe siècles ; l’autre, qu’on pourrait appeler l’école humanitaire, se rapproche des allures libres, discursives, de la prédication du XVIe siècle, mais en s’abstenant du côté trivial et agressif. Cette dernière école s’occupe beaucoup moins de combattre l’erreur que d’affirmer la vérité, de peur d’irriter par la lutte les résistances du doute. On dirait que, tout en proclamant la renaissance et le triomphe des idées catholiques, elle craint de compter, parmi ceux qui l’écoutent, plus d’indifférens que de croyans fidèles, et, pour ne point effrayer une foi mal assise encore, elle évite la dureté des reproches, dépouille le catholicisme de son côté sombre et menaçant, de ses doctrines d’exclusion. Elle admettrait presque, avec certains théologiens modernes, le salut des infidèles et la mitigation des peines des damnés, et elle cherche, avant tout, à agir sur les classes élevées et intelligentes par la charité et le sentiment. MM. Deguerry, Cœur, Combalot et Lacordaire sont les représentans les plus connus de l’école humanitaire et romantique, école un peu confuse du reste et diversement accidentée. En effet M. Cœur, gallican et cartésien, a vivement attaqué M. de Lamennais, et c’est de M. de Lamennais que procèdent directement MM. Lacordaire et Combalot. D’abord avocat et converti plus tard par l’Essai sur l’Indifférence, M. Lacordaire a pris une part très active à la rédaction du journal l’Avenir. Lorsque M. de Lamennais se fut séparé de l’église, M. Lacordaire, resté sur le terrain de l’orthodoxie, n’a point cessé cependant de côtoyer en bien des points l’homme éminent dont il avait partagé les illusions, les enthousiasmes, et avec lequel il avait noblement soutenu la lutte contre de mesquines persécutions. Les premiers succès oratoires de M. Lacordaire datent de 1834. Il ouvrit à cette époque des conférences dans l’église du collége Stanislas : les auditeurs étaient nombreux, l’espace manquait à la foule ; douze cents jeunes gens signèrent une adresse à M. de Quélen pour le prier d’ouvrir Notre-Dame au jeune et