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endémique n’afflige la colonie ; le chiffre des mortalités (2, 36/100 p. 100, ou environ un 42e, fourni par toute la population libre, dont les deux tiers au moins se composent d’Européens de naissance ou d’origine) est à peine égal à celui que présentent les calculs analogues faits sur l’ensemble des départemens de la France[1]. Dans toute l’île, on ne rencontre pas d’animaux féroces ou nuisibles ; les singes n’y viennent pas comme à Maurice dévaster les plantations, et le serpent, le fléau de l’Inde, n’y menace ni l’homme, ni les bestiaux. De vieux colons vous diront tout bas dans l’oreille qu’on a découvert depuis quelques années des reptiles déposés sur la plage par des Anglais ; mais nos voisins ne sont pas Carthaginois à ce point : ils se contentent, dans leur sollicitude pour la race noire, d’inquiéter les habitations par certaines brochures rédigées dans un esprit d’émancipation sur lequel on ne se méprend guère.

À l’embouchure de la rivière de Saint-Gilles, qu’on traverse au sortir du quartier de Saint-Leu, et dans l’anse de ce nom, le gouvernement avait songé à creuser un port, mais l’expérience a prouvé qu’il faudrait au moins six années et bien des millions pour achever ce travail. Pour comble de malheur, cet abri offert aux navires les eût entraînés loin de la capitale et à une distance assez considérable de toute ville. Ici, nous avons à gravir encore une colline très élevée, dominée à des hauteurs infinies par le Brûlé de Saint-Paul, puis par le Grand-Bénard, le second des pics de l’île ; sur le revers opposé de cette colline, on jouit d’un panorama vraiment merveilleux. À droite, au-delà des vallons escarpés qu’arrose, le Bernica, et sur lesquels s’échelonnent en gradins des plantations de toute espèce, café, girofle, maïs, se profilent des montagnes abruptes, sombres, développées en demi-cercle jusqu’à la mer. À leur pied s’étend un delta formé par les cailloux que promènent les torrens et que repoussent les vents alisés ; à travers cette plaine pierreuse, impossible à cultiver, serpente la rivière des Galets, tantôt réduite à un filet d’eau, tantôt débordée. Dans ce vaste tableau se trouve circonscrit un autre paysage qui en est le premier plan ; il se compose de la ville de Saint-Paul vue à vol d’oiseau, découpée de vergers, cernée par son grand lac, assise devant une belle rade où se balancent de nombreux navires. À mesure qu’on descend par la rampe taillée dans le roc comme un escalier, la

  1. Sur 3,426 esclaves ayant dépassé l’âge de soixante ans en 1836, il s’en trouvait 258 de quatre-vingts à quatre-vingt-dix ans, et 28 de quatre-vingt-dix à cent ans. On est surpris de ces exemples de longévité dans une race qui habite les régions tropicales et sort en grande partie des régions les plus malsaines de l’Afrique.