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L’ÎLE DE BOURBON.

de la Cumbre entre Mendoza et le Chili ; avec les accidens multipliés qui découpent un terrain essentiellement volcanique, on conçoit que Bourbon soit l’une des îles du monde les plus pittoresques. À une élévation de 1,660 et de 2,330 mètres se rencontrent les plaines des Fougères et des Chicots, et d’autres plateaux échelonnés selon le caprice d’une nature bizarre. Ailleurs, les vallées plus adoucies permettent aux planteurs de superposer trois étages de cultures ; à mesure que le nombre des habitans augmente, les défrichemens se poursuivent ; aussi peut-on supposer que maintenant le tiers au moins des terres de l’île sont exploitées[1]. Sur les bords de la mer mûrissent les fruits de l’Inde, des Détroits et de Madagascar. Vers les régions supérieures croissent les fruits de l’Europe méridionale ; les mangues de Bourbon sont plus goûtées que celles de Madras, de Bombay même, plus variées d’espèce qu’à l’île de France. Les pêches en plein vent n’ont pas autant de saveur que celles des bords de la Loire et des jardins de Paris ; mais mûries à point par un soleil du tropique, elles ne le cèdent en rien aux duraznos des îles du Parana, et tout voyageur qui parcourt à pied la route si fatigante qui conduit de Saint-Leu à Saint-Paul, dans la partie sous le vent, a pu apprécier les excellentes grenades rouges et blanches semées par le hasard dans les ravins.

Après avoir exploré le canton des eaux thermales, il faut redescendre le long de la rivière du Mât, gravir une colline abondante en vaquouas (plante dont on se sert pour tresser les sacs à café), puis, laissant derrière soi les terres basses du Champ-Borne, qui s’avancent dans la mer comme un delta, longer la plage et traverser la rivière des Roches sur un pont suspendu. Une belle route, taillée dans le roc, vous conduit à Saint-Benoît, petite ville irrégulièrement bâtie sur la rivière des Marsouins, l’une des plus belles, des plus profondes et des plus larges de l’île. Au-delà de ce chef-lieu, le terrain devient plus difficile à cultiver ; les ruisseaux plus encaissés se creusent à travers des blocs de pierre un lit inégal, taillé perpendiculairement dans des roches basaltiques qui se dressent en colonnes régulières. Les

  1. En 1836, le sol de Bourbon se trouvait réparti ainsi qu’il suit :

    Cultures 
    65,702 hectares
    231,550 hectares
    Savanes 
    14,040
    Bois et forêts 
    55,921
    Terrains incultes 
    95,887

    Les terres cultivées formaient ainsi près du tiers du territoire de la colonie.