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qui songe à le réclamer, qui le reconnaîtrait après une absence si longue ? Ces derniers marrons sont devenus à peu près sauvages ; pareils aux vieux sangliers qu’on nomme solitaires, ils se fuient les uns les autres, ou du moins ils vivent dans des repaires distincts, pour plus de sécurité. Désormais leur indifférence est si complète pour ce qui se passe dans les régions habitées, qu’ils ne descendraient même pas de leurs mornes le jour où l’émancipation serait proclamée ; par instinct, ils préféreraient sans doute jouir jusqu’au bout de la liberté qu’ils ont conquise.

À l’époque de l’année où je visitai les sources de Salazie, le village destiné aux malades est entièrement désert ; des planches clouées sur les portes et sur les fenêtres indiquent au voyageur que nulle part il ne trouvera un abri, si ce n’est sous un hangar, situé près du bassin de la source, le long d’un ruisseau d’une limpidité merveilleuse. Il y a fort peu d’années que ces eaux thermales, connues seulement des noirs vagabonds et des chasseurs, ont attiré au centre de l’île les malades, non-seulement de la colonie, mais encore de Maurice. Vers le même temps aussi se formait le treizième canton, celui de Salazie ; il se compose d’une allée de deux lieues et demie à trois lieues de diamètre, environnée circulairement de hautes montagnes, rempart inaccessible dressé par la nature et interrompu seulement au nord-est par une étroite issue qui donne passage à la rivière du Mât. « Cette vallée, disent les notices publiées par la marine, coupée elle-même par cette rivière du Mât et par de nombreux cours d’eau, offre un sol montueux, dont l’élévation au-dessus du niveau de la mer varie de 600 à 1,200 mètres, et dont la fertilité est partout remarquable. Des observations régulières faites sur le climat ont constaté une température généralement inférieure de 10 degrés à celle de Saint-Denis, où le thermomètre ne descend pas au-dessous de 13 degrés et ne s’élève pas au-dessus de 26, offrant ainsi un hiver encore plus doux que celui de Toulon et un été pareil à celui de Bordeaux. » Ces indications paraissent justes : le point sur lequel se réunissent les malades pour recouvrer la santé doit être le plus sain et le plus tempéré d’une île déjà salubre et douée d’un climat assez égal ; mais le déboisement des collines environnantes pourra faire de ce bassin un pays d’autant plus aride et triste que les brises de la mer y arrivent plus difficilement.

Avec les huit principales montagnes, dont la plus basse, le piton d’Entre-Deux, n’a pas moins de 1,924 mètres, et la plus élevée, le piton des Neiges, atteint la hauteur de 3,150 mètres, à peu près celle