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L’ÎLE DE BOURBON.

lonie à même de traverser, sans éprouver de trop fortes secousses, les époques de crises, de révolutions et de guerres, qui se continuèrent jusqu’en 1815 ; alors la France, dépouillée de l’île qui portait son nom, ne posséda plus que Bourbon, parfaitement plantée, enrichie de produits précieux, mais privée de port et laissée à ses anciens maîtres, moins comme une colonie que comme un récif sur lequel se briseraient leurs vaisseaux ! Mais avant de toucher les points principaux de cette période récente, descendons sur l’île et prenons connaissance des localités.

Un groupe de montagnes, les unes bleues et largement découpées comme les Apennins, les autres sombres et abruptes comme les Alpes, voilà l’île Bourbon vue à distance. On en fait le tour sans que les gros navires trouvent une anse qui les abrite et les invite au mouillage ; on dirait un point fortifié par la nature, qu’on ne peut aborder qu’avec la permission du vent et de la marée, et encore faut-il des précautions infinies. Ici, ce sont des rocs escarpés, taillés à pic, creusés en cavernes par le flot menaçant qui s’y engouffre avec un mugissement terrible ; caps battus par toutes les tempêtes, troués à leur sommet de petites grottes inaccessibles, dans lesquelles le fou aux larges ailes aime à nicher ; là, d’immenses murailles formées par la lave qui, venant se heurter toute bouillante contre la vague, se refroidit subitement, s’éteint, se dresse en masses poreuses, nuancées de reflets rougeâtres et violets. L’Océan, sur lequel elle empiète, mine sourdement cette barrière volcanique, et la ronge à l’intérieur en se creusant un labyrinthe de passages multipliés. Quand le vent souffle du large, des masses d’eau poussées par cette action du dehors à travers les voûtes sonores où elles se ruent avec un bruit pareil à celui du canon rejaillissent de toutes parts en jets d’écume, en blanches gerbes, par des fissures à peine visibles. Ailleurs, ce sont des plages unies, sablonneuses, mais rendues tout aussi peu abordables par une houle courte et brusque ; déferlant sans cesse sur un lit de galets. Même quand la brise sommeille, la mer continue de mugir ; selon qu’il approche de la rive le jour ou la nuit, le marin, dont les oreilles sont frappées par le murmure du ressac, voit de toutes parts le flot irrité s’enrouler sous des flocons d’écume, ou une crinière phosphorescente entourer l’île comme une ceinture. Quand j’arrivai à Bourbon, la saison de l’hivernage était commencée ; les pluies et les chaleurs, les orages et les gros vents que j’avais vus se calmer aux bords du Gange, dans l’hémisphère boréal, régnaient en plein de l’autre côté de la ligne. La mer, fortement agitée au large par les rafales du matin se calmait à un mille de