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DE LA RÉFORME DES PRISONS.

visité par d’étranges visions ; durant plusieurs nuits de suite, il lui semblait voir un aigle perché sur le pied de son lit. Un détenu, qui n’était dans le pénitencier que depuis trois semaines, paraissait plongé dans le désespoir. « La solitude me tuera, » disait-il. Un autre, renfermé depuis cinq mois, en portait un jugement semblable : « La solitude est funeste à la constitution de l’homme, elle me tuera. » Un quatrième ne parlait des premiers mois de sa détention qu’avec terreur, et ce souvenir lui arrachait des larmes. Un cinquième paraissait irrité, mais non soumis par le châtiment. On semblait le gêner en venant le visiter ; il n’interrompait pas son travail, répondait à peine aux questions, et ne témoignait aucun repentir. — Que servirait de multiplier ici les exemples ? Le raisonnement n’en dit-il pas assez sur ce point ? Qu’une solitude de quelques jours porte à la réflexion, cela se conçoit encore ; mais un isolement prolongé, un isolement perpétuel en quelque sorte, ne peut qu’aigrir le caractère ou exalter l’imagination : c’est une peine qui s’adresse au sentiment et non à la raison.

Les partisans de l’emprisonnement individuel semblent croire que l’ame humaine est une espèce d’arsenal, et que l’homme le plus dépravé doit retrouver en lui-même, pourvu qu’il s’interroge dans le silence de la solitude, des armes assez puissantes pour combattre victorieusement ses penchans les plus vicieux. Les choses ne vont point ainsi. Il n’y a que les animaux qui vivent naturellement solitaires. L’homme est un être sociable, parce qu’il est un être pensant. Il ne peut rien faire seul, ni le mal, ni le bien ; et quand il est le plus abandonné, le plus misérable, le plus criminel, il faut encore, pour le ramener à un ordre d’idées meilleur, que la Providence, sous la forme de la charité humaine et de l’exemple, se manifeste à lui au fond du châtiment. On dira que le projet de loi réserve aux condamnés les consolations de la religion et de l’enseignement. Cela est vrai, mais il faut ne pas connaître la nature humaine pour supposer qu’une morale officielle puisse faire de nombreuses et de sincères conversions. Il n’y a de leçons vraiment utiles que celles que les hommes se donnent les uns aux autres par leur conduite ; la réforme d’un criminel instruit cent fois plus ses compagnons de captivité que tous les sermons d’un aumônier ou d’un directeur de prison. La cellule du système pensylvanien ne vaut pas mieux avec des formes moins brutales, que les cachots, les in pace de l’inquisition. C’est toujours la société retirant son appui à l’individu, et le laissant retomber de toute sa hauteur dans le désespoir, dans la folie, ou dans une implacable perversité. Un fois muré au fond de ce sépulcre, l’homme sent sa nature se dédoubler :