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DE LA RÉFORME DES PRISONS.

des malheurs dont elle admet l’existence dans son rapport. « En 1838, dit l’honorable rapporteur, quatorze cas de surexcitation mentale ou de folie ont été constatés dans la prison (la population était de 387 détenus) ; en 1839, le nombre des cas a été de vingt-six (la population étant de 425) ; en 1840, il y a eu dix ou douze cas d’hallucination. » Ce n’est pas là le nombre réel des victimes. En consultant les documens officiels, on trouve que le pénitencier de Philadelphie a compté en 1837 quatorze détenus atteints de démence sur 376, ce qui donne la proportion de 1 sur 27. L’année suivante, le nombre des malheureux frappés de folie s’est élevé à dix-huit sur 387 détenus, ou 1 sur 21. Enfin en 1839, l’épidémie s’étendant avec la durée de l’emprisonnement, il y avait vingt-six cas de démence sur 334 détenus, ou 1 sur 16. Les résultats de 1840 et 1841 n’ont guère été moins désastreux, ces deux années ayant présenté ensemble 32 cas de folie. Ainsi en cinq années, de 1837 à 1841, quatre vingt-dix détenus sont devenus fous dans la maison de Philadelphie. Quel commentaire ne pâlirait devant la simple énumération de ces faits ?

Pour atténuer l’impression qui en ressort, M. de Tocqueville avance, sur l’autorité des inspecteurs de Philadelphie, que les facultés intellectuelles de plusieurs détenus étaient plus ou moins altérées avant leur entrée dans la maison. Cette circonstance, en la supposant avérée, irait droit contre l’induction que l’honorable rapporteur a voulu en tirer ; elle prouverait en effet que le régime de la prison développe, quand il ne les fait pas éclore, les germes de la folie. M. de Tocqueville affirme encore, toujours d’après la même autorité, que le plus grand nombre des cas de démence ont été guéris à l’aide d’un traitement qui a duré de deux à trente-deux jours. En exprimant notre parfaite incrédulité sur ce point, nous ne faisons que reproduire le sentiment avec lequel ont été universellement accueillies en Amérique les assertions que M. de Tocqueville reproduit. Enfin, l’honorable rapporteur attribue au caractère particulièrement austère que l’emprisonnement séparé avait dans l’origine à Philadelphie, les terribles conséquences de ce système. Pour répondre à l’observation de M. de Tocqueville, il suffit de rappeler que le régime du pénitencier avait déjà reçu les prétendus adoucissemens que l’on nous propose d’appliquer ici au système pensylvanien, lorsque la folie s’y est déclarée en permanence avec le caractère le plus aigu[1].

Et ce n’est pas dans la Pensylvanie seulement que la détention soli-

  1. Sur 18 cas de folie en 1838, le médecin comptait 13 cas de démence aiguë.