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DE LA RÉFORME DES PRISONS.

voirs locaux en Angleterre étant très jaloux de leurs prérogatives, il a fallu que l’administration centrale, au lieu de donner des ordres, procédât par voie de conseil, d’encouragement et d’inspection.

Les prisons se divisent en maisons d’arrêt et de dépôt destinées à renfermer les prévenus et les accusés jusqu’au jour où ils comparaissent devant les tribunaux, et en maisons pénales affectées à la séquestration des condamnés. Point de difficulté sur les établissemens préventifs. Tous les publicistes s’accordent à demander que les prévenus et les accusés soient placés dans des maisons ou dans des quartiers distincts, que la surveillance immédiate des prisons ou quartiers affectés aux femmes soit exercée par des personnes de leur sexe, que les inculpés, renfermés le jour comme la nuit dans des cellules particulières, n’aient entre eux que les rares communications qui auront été autorisées par le préfet ou permises par le magistrat instructeur, et les articles 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11 et 12 du projet de loi donnent pleine satisfaction sur tous ces points.

Sous la restauration, une philanthropie peu éclairée s’opposait à la séparation des inculpés. On confondait encore cette précaution d’humanité et de morale avec l’espèce de torture connue sous le nom de secret, que les magistrats infligent quelquefois à des accusés pour arriver plus sûrement à la découverte de la vérité. La différence est profonde cependant. Le secret plonge le détenu dans une solitude absolue, rompt pour lui toute relation avec la société, et le laisse souvent face à face avec des remords dont une oisiveté forcée augmente la terreur. La séparation élevée entre des inculpés n’empêche au contraire que les communications qu’ils pourraient avoir entre eux ; elle admet la visite des parens, des amis, du défenseur, et si le prévenu travaille dans sa cellule, le produit du travail lui appartient. Nous conviendrons que, même avec ces adoucissemens, une réclusion aussi absolue peut à la longue exercer une funeste influence sur la santé et sur l’esprit ; mais la détention préventive est en général assez courte, et il serait facile de l’abréger encore. En 1838, sur près de 19,000 individus arrêtés pour crimes ou délits, et qui ont été déchargés des poursuites ou acquittés, 13,000 avaient passé moins d’un mois en prison, et 285 seulement y avaient passé six mois ou plus de six mois[1]. Or, la réclusion solitaire, quand elle ne dure pas plus de deux ou trois mois, ne saurait avoir des effets bien profonds ni bien fâcheux. Aussi, dans l’état de New-York, où le système d’Auburn a pris naissance, on a

  1. Voir le Rapport de M. de Tocqueville, p. 10.