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DU MOUVEMENT CATHOLIQUE.

dans les régions mystiques, elle est toujours dépaysée dans l’histoire. Il faut une main virile à cette rude tâche, et toutes les graces du style ne rachètent pas, en pareil cas, les défaillances de la pensée.

La littérature des femmes n’a pas toujours, on doit le dire, visé à ces hautes sphères ; souvent elle n’a cherché ses lecteurs que dans les pensionnats et même dans les salles d’asile. Il y a tout un groupe, éclos de Berquin et du chanoine Schmidt, qui semble avoir pris pour devise les paroles du divin maître : sinite parvulos ad me venire, et qui, désespérant sans doute d’intéresser l’âge mûr par des romans, s’est occupé d’amuser l’enfance par des historiettes. Nous avons ouvert deux volumes annoncés sous le titre pompeux de Théâtre chrétien, et nous n’y avons trouvé que d’innocens petits drames où des sujets pieux revêtent la forme naïve qui convient au premier âge. Les femmes qui écrivent des contes chrétiens à l’usage de la jeunesse, ont épuisé, pour baptiser leurs petits volumes, tous les noms du calendrier, toutes les vertus des anges gardiens, qui jouent un grand rôle dans cette littérature de l’enfance. Leur ambition, après la vente dans les salles d’asile, se borne à obtenir de l’impartiale galanterie de l’académie une mention honorable au jour solennel du couronnement des ouvrages utiles aux mœurs.

Le néo-christianisme a produit beaucoup de romans, on le voit ; mais parmi tant d’essais, où est l’œuvre durable ? Ne nous pressons pas d’accuser les hommes. À côté d’écrivains qu’il faut laisser dans leur oubli, la tendance ultra-catholique compte aussi des défenseurs qu’on s’afflige de rencontrer au milieu de cette guerilla dévote. Il y a dans cette mêlée confuse plus d’un coup habilement porté, et ces bandes en désordre entraînent avec elles quelques bons soldats. Seulement, pour des lutteurs si exaltés, la victoire est impossible. Quoi qu’ils fassent, une foi maladive imprimera toujours à leurs écrits le cachet de sa faiblesse. Qu’ils transportent le mélodrame dans l’église avec M. Guiraud ; qu’ils y réveillent avec MM. Veuillot et de Genoude les échos d’une polémique passionnée ; qu’ils y égarent les élans d’une verve mondaine, ou qu’ils se bercent avec les imaginations féminines en de mystiques nuages, les néo-chrétiens verront toujours le but qu’ils poursuivent échapper à leurs efforts. L’art se venge de ceux qui le sacrifient à un système : il les frappe de stérilité. La piété se venge aussi de ceux qui la mêlent aux choses frivoles : elle les aveugle, elle les pousse à l’intolérance et à l’erreur. N’est-ce pas un peu l’histoire du roman néo-catholique ?

Il est cependant un terrain sur lequel la foi naïve et féconde a pu se rencontrer avec l’exaltation religieuse : ce terrain est celui des voyages, et nous donnerions une idée incomplète de la littérature néo-chrétienne si nous ne la suivions dans ce nouveau domaine. Nulle part la différence qui sépare la dévotion éclairée d’un enthousiasme aveugle ne se prononce plus nettement. Le néo-christianisme a eu ses touristes, tandis que la religion noblement comprise avait ses voyageurs et ses missionnaires. Sans parler des courageux apôtres qui affrontent le martyre pour propager la foi, on a vu de pieux écrivains consacrer à des excursions lointaines, à de pénibles recherches, un