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contemporaine, et qui doivent, suivant M. Guiraud, accomplir le progrès chrétien, ne pouvaient rester étrangères à cette mêlée littéraire. Elles ont aussi tenté de prêcher par le roman. La plupart ont apporté, il faut le reconnaître, à la cause néo-chrétienne, sinon de puissans efforts, du moins des noms aristocratiques, et des traditions de grace et de bon goût dont la coterie religieuse aurait dû profiter. Entre ces mains délicates, le roman dévot a subi une transformation complète. L’épuration du genre a même été poussée quelquefois jusqu’au raffinement. L’amour divin a détrôné l’amour terrestre : le salon et le boudoir ont fait place au paradis, et les acteurs introduits sur la scène ainsi transformée sont tout au moins des anges. Cette littérature mystique est représentée dans son expression la plus éthérée par Mme Anna-Marie. L’Ame exilée, la Sœur des Anges, nous transportent sur le seuil du ciel. On croit voit passer devant soi la blanche procession des vierges bienheureuses, et l’auréole, radieuse couronne des célestes hyménées, remplace sur leurs fronts les fleurs périssables des toilettes mondaines. La croyance sérieuse n’a rien à démêler avec cette mignardise. On dirait sainte Thérèse en robe de bal, mais on aurait tort de se montrer sévère pour ces aimables rêveries. L’auteur s’adresse surtout aux boudoirs catholiques, aux femmes qui se croient sérieusement des anges exilés, variété nouvelle de la femme incomprise.

Grace à une grande douceur d’imagination, à un certain bouquet de style, Mme Anna-Marie a réagi sur les organisations disposées aux vapeurs mystiques. Il y a des ames égarées dans le désert de la vie (c’est elle-même qui nous l’apprend) qui ont retrouvé une ame, leur sœur, dans la poésie de ses volumes. Il y a de beaux yeux qui ont pleuré en la lisant, et, comme témoignage de la satisfaction de ses lectrices, elle a reçu des lettres trempées de larmes. Mme Tarbé des Sablons, Valentine de Soucy, se rattachent à cette école, qui procède tout à la fois du bienheureux Liguori et de Silvio Pellico. Mme la princesse de Craon mêle à ces tendances mystiques des souvenirs de Scott, elle introduit la dévotion dans le roman historique. Malheureusement la voie où elle s’engage est bien fréquentée, l’imitation de Waverley et d’Ivanhoé a porté malheur à plus d’un évrivain. Mme de Craon a révélé dans Thomas Morus et le Siége d’Orléans des qualités de narration et de mise en scène auxquelles manque ce relief puissant que donne l’originalité. Ce n’est pas assez de sentir avec distinction, de s’exprimer avec élégance, quand on s’attaque à des figures comme celles de Thomas Morus et de Jeanne d’Arc. Ce reproche pourrait s’étendre, il est vrai, à Mme Anna-Marie, qui a voulu, elle aussi, payer son tribut à la vierge de Vaucouleurs. L’excursion que l’auteur de l’Ame exilée tentait dans un genre qui n’est pas le sien n’a produit qu’une étude où des intentions généreuses ne rachètent pas le défaut d’énergie et de profondeur. Avec moins d’indécision dans la forme, les ouvrages de Mme Craon ne se rapprochent pas plus, nous le répétons, de l’idéal atteint par Scott. Si la délicatesse féminine se trouve parfois à l’aise