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DU MOUVEMENT CATHOLIQUE.

bien réelle, et le don précieux d’animer un récit des chaudes couleurs de la réalité. Un cadre plus neuf et plus large ne pouvait manquer de porter bonheur à l’écrivain. Dans les Contes du Bocage, ce cadre est-il trouvé ? Le volume s’ouvre par une introduction historique. Ce tableau de l’insurrection vendéenne ne manque pas de verve, mais on y voudrait plus d’impartialité. Pour M. Ourliac, les blancs sont des héros, les bleus sont des misérables. Est-ce bien là de l’histoire ? Heureusement nous entrons bientôt sur le terrain du roman. Mademoiselle de la Charnaye est un simple et touchant récit, où l’on ne retrouve aucune trace d’irritation dévote, et le lecteur ému pardonne vite au romancier les haines de l’historien. Il est fâcheux que d’autres parties du livre ne méritent pas le même éloge. Les Contes du Bocage nous montrent à la fois ce que peut M. Ourliac s’il suit sa vocation, ce qu’il doit craindre s’il la méconnaît. Partout où apparaît l’écrivain systématique, partout aussi faiblit le conteur. La foi n’exige pas cependant qu’on fasse intervenir sans cesse le roman dans le drame, la prière dans la fiction. Un bon esprit sait concilier les élans d’une piété fervente avec une pratique libre et variée de l’art. M. Ourliac voudrait-il renoncer à ce privilége d’une dévotion éclairée pour suivre les écarts d’une littérature excentrique ? Il est encore temps pour lui de revenir en arrière : qu’au lieu de prêcher, il se contente d’amuser et d’émouvoir. L’imagination doit garder son indépendance, le roman n’a rien à démêler avec les systèmes, et si les coteries politiques ou religieuses semblent offrir des débouchés aux livres, elles n’ont jamais que des entraves pour les idées.

Nous hésitons à rappeler des œuvres oubliées, des noms obscurs : pourtant nous n’avons pas compté encore toutes les tentatives de la fantaisie néo-chrétienne. Nous avons vu des abbés poètes, il nous reste à voir des abbés romanciers. Passons vite, et ne troublons pas le repos des morts. Nous intéresserons-nous aux aventures conjugales du Don Quichotte philosophe, avocat esprit-fort qui épouse à cinquante ans une femme pieusement élevée, lui défend d’aller à confesse, et par suite de cette défense ajoute un nom nouveau à la liste déjà trop longue des Sganarelle et des George Dandin ? Nous intéresserons-nous au Comte de Vertfeuil, à Évelpida, la vierge du progrès et de l’avenir, qui nous rend en style apocalyptique et humanitaire Nostradamus et Mlle Lenormand ? Chercherons-nous un successeur à l’abbé Prévost dans l’abbé Gueulette, auteur de Pazzini et Sylvia, petit volume où de naïves histoires de brigands amènent des digressions plus naïves encore sur l’auteur de Lélia, cette Sévigné frivole du dix-neuvième siècle ? Malgré son titre mystique, Emmanuel, ou Dieu est avec nous, nous fera-t-il avancer d’un pas dans la croyance ou la certitude ? Pour démontrer le gouvernement providentiel du monde, il n’eût pas fallu recourir à un canevas de mélodrame, et c’est un triste cortége aux vérités religieuses que les puériles terreurs d’un conte de revenans.

Les femmes, que le néo-catholicisme a proclamées les apôtres de la foi