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quetterie s’y mêle à la vulgarité, la franchise à l’affection, et comme pour compléter le contraste, quelques remarques religieuses viennent s’égarer çà et là au milieu de prétentieuses rêveries. Ce n’est pas le héros, c’est l’écrivain lui-même qui semble hésiter à chaque page entre le boudoir et la sacristie.

Avec Rome et Lorette, nous passons du roman à la confession. Le souvenir de saint Augustin exalte outre mesure les ambitions néo-chrétiennes. Il est des rapprochemens qu’il vaudrait mieux ne pas provoquer. L’imitation de l’évêque d’Hippone devait porter malheur à M. Veuillot comme à M. de Genoude. C’est en vain que l’auteur de Rome et Lorette vise à l’angélique douceur, aux pieux épanchemens d’un chrétien des premiers âges : les préoccupations exclusives de l’écrivain se trahissent à tout moment par de fâcheuses boutades. M. Veuillot nous parle de son père, simple ouvrier, de ses années d’enfance passées sous un humble toit, et tout aussitôt il trouble comme à plaisir ces douces impressions par une sortie contre l’école mutuelle, contre son instituteur qui s’enivre, contre M. Paul de Kock, dont il a lu les romans en cachette. À treize ans, on le voit entrer dans une étude d’avoué, où il n’a pour former son esprit que la lecture des journaux quotidiens. Les études classiques ont manqué à M. Veuillot, et, s’il ne l’avouait avec franchise, la verdeur mal contenue de sa plume le prouverait assez. On ne se souvient que trop, en lisant Rome et Lorette, de ce mot d’un ingénieux penseur : Là où il n’y a pas de sérénité, là ne sont point les belles-lettres. Tout a concouru d’ailleurs à écarter M. Veuillot des sources où l’on puise cette sérénité si précieuse. À l’influence de lectures stériles ou mauvaises, il vit succéder celle d’un labeur où la mesure et le goût peuvent s’oublier plutôt que s’apprendre. La révolution de juillet enlève M. Veuillot à son étude, et la presse quotidienne entraîne dans sa mêlée le clerc d’avoué devenu rédacteur d’une feuille de province. « Je me trouvai de la résistance, dit-il, j’aurais été tout aussi volontiers du mouvement. » En nous racontant cette époque de sa vie, M. Veuillot trace de notre situation politique et morale un tableau où quelques vérités se mêlent aux exagérations ordinaires de sa plume. Seulement, il ne s’aperçoit pas qu’il attaque des excès déplorables au nom d’excès qui ne le sont pas moins. La plainte qui nous toucherait, si elle partait d’un esprit modéré, blesse et irrite sur les lèvres de l’écrivain néo-catholique. À le voir gémir sur les plaies morales de la société, on se demande s’il est lui-même exempt de toute blessure, et l’irritation fébrile de sa voix dément chacune de ses paroles. C’est avec une vivacité maladive que M. Veuillot s’écrie qu’il est guéri, c’est le feu dans les yeux qu’il se dit calme. Cette guérison qu’il proclame ne serait-elle donc qu’une autre forme de sa maladie ? La suite de son livre peut nous l’apprendre. Nous voyons M. Veuillot distrait des travaux de la polémique par une circonstance inattendue. Un de ses amis lui annonce qu’il vient de se convertir. « Pauvre Gustave ! il est malade ou fou ! » s’écrie le journaliste voltairien, et il accourt à Paris pour avoir des nouvelles de son ami. Gustave n’est ni fou, ni malade ; il est tout simplement catholique. De vives