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DU MOUVEMENT CATHOLIQUE.

mal élevées, et il leur manque beaucoup de choses. De la vertu, toutes les jeunes filles en ont mais cette vertu, comme les roses, fleurit l’espace d’un matin, c’est-à-dire qu’elle s’effeuille après deux ans de ménage, après cinq ans pour les plus heureux, au souffle impitoyable des ouragans conjugaux. Le mari vieillit et prend du ventre,… on le sait par cœur,… et le devoir, qui s’appelle préjugé, despotisme, n’apparaît plus que comme le gardien maussade des pommes d’or du plaisir et de la liberté… Que ne m’est-il donné de trouver la perle qui pourra tremper sans se dissoudre dans le vinaigre des illusions perdues ! — La perle ne se rencontre pas ; le vinaigre corrosif du désenchantement ronge le cœur du pauvre Saintive. Il recule devant l’union conjugale, parce qu’il sait que, s’il se marie, il prendra du ventre, et subira la loi redoutable du talion, attendu que, dans la fièvre de la jeunesse, il n’a pas toujours respecté le sacrement. Mais, d’autre part, faut-il descendre dans le vade in pace des privations ? Marie-toi, ne te marie pas, le carillon sonne toujours, et voilà que, pour surcroît, une passion nouvelle vient se greffer sur la première passion. Tandis que les héros profanes des romans ordinaires se contentent d’aimer une femme, ce héros d’un roman orthodoxe en adore deux à la fois, une sainte et une coquette, l’ange et le démon ; il se passe alors des mystères étranges dans ce pauvre cœur néo-chrétien, et le malheureux Saintive, maussade, inquiet, agacé, pleure, soupire, se promène, prie, espère, et tient le journal de ses impressions ; il écrit à tout le monde, à des abbés, à des dames, et la correspondance amène des réflexions sur les orties du regret qui poussent dans le mariage, sur les forçats libérés, qui peuvent, quand il leur plaît, s’établir dans les villes et y fonder des écoles ou des journaux, ce qui est sans doute un argument victorieux en faveur de la liberté de l’enseignement ; sur les femmes chrétiennes qui sont des places bien défendues ; sur Tartufe, qu’il faudrait brûler jusqu’au dernier exemplaire ; sur Molière et La Rochefoucauld, qui sont bien myopes et bien niais, etc. Enfin la conversion paraît complète, la lutte qui déchirait Saintive semble terminée : des deux femmes qu’il aimait, c’est la dévote qui l’emporte, moins pour sa beauté, pour sa grace, le croirait-on ? que pour une dot qui s’élève à un demi-million. La dot a fixé l’irrésolution de l’amoureux néophyte, lorsqu’il apprend que cet ange de piété, Mlle Thérèse Lacroix, destine toute sa fortune aux pauvres. Que va faire Saintive ? Hélas ! plus de demi-million, plus de mariage ; c’est ainsi qu’il raisonne, et il s’empresse de retirer sa demande. Le voilà retombé plus avant que jamais dans ses incertitudes. On a hâte, après une telle péripétie, d’arriver au dénouement. Il se trouve que la fortune de la jeune dévote se compose de biens enlevés au père de Saintive pendant la révolution. Thérèse n’a pas plutôt découvert cette circonstance, qu’elle offre de tout restituer au légitime possesseur. Un combat de générosité s’engage, dans lequel Thérèse a le dessus. Saintive retrouve sa fortune et entre au séminaire, tandis que Thérèse va frapper à la porte d’un couvent. Ainsi finit cette histoire, dont la moindre bizarrerie n’est pas le style. L’indécision qui tourmente Saintive a passé dans la forme. La co-