Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 5.djvu/346

Cette page a été validée par deux contributeurs.
342
REVUE DES DEUX MONDES.

Les ultra-catholiques ne voudront jamais convenir que ce n’est ni le talent ni même l’exaltation religieuse qu’ils aiment en M. Veuillot ; ils ne voudront pas reconnaître que pour eux le côté séduisant de l’écrivain c’est précisément celui qui répugne aux esprits délicats, aux ames vraiment pieuses. Il ne faut pas s’y tromper cependant : l’accueil qu’a obtenu le dévot romancier repose sur de violentes allures qu’on blâmerait chez le chrétien et qu’on encourage chez l’écrivain militant. Ici encore l’art a été mis de côté, le succès n’a pas couronné le mérite littéraire ; il a récompensé les brusqueries de la plume.

On devine comment M. Veuillot a compris le roman ultra-religieux. Si l’on veut ne rien ignorer des excentricités du genre, qu’on ouvre Pierre Saintive, ou Rome et Lorette. Il y a là comme un piquant résumé des exagérations de cette littérature à part. Le romancier néo-catholique ne connaît pas le calendrier usuel : il date sa préface d’un pieux anniversaire. Cette date a souvent une signification éloquente, et c’est le jour de la conversion de saint Paul que M. Veuillot termine la préface d’un livre qui est l’histoire de sa propre conversion. Le roman est presque toujours dédié à un prêtre qui a revu les épreuves. La forme du récit biographique, de l’épanchement intime, est celle que l’auteur préfère. L’amant dans Pierre Saintive, le journaliste dans la Femme Honnête, le dévot dans Rome et Lorette, enfin le discret visiteur d’un couvent de femmes dans Sœur Saint-Louis, ce n’est, en réalité, que le même portrait sous des aspects divers. On complique singulièrement ainsi la tâche de la critique : après s’être tirée des difficultés de l’appréciation, elle se voit entraînée bien souvent sur le terrain de la biographie, trop heureuse quand elle échappe aux périls de la controverse. Aussi n’est-ce pas sans hésitation et sans tristesse qu’on aborde un examen qui soulève presque toujours moins d’intérêt littéraire que d’irritantes questions.

Pierre Saintive, publié en 1840, ouvre la série des romans néo-catholiques de M. Veuillot. Le sujet du livre, faut-il le dire ? c’est une conversion. La préface, dédiée à M. l’abbé ***, est datée de la veille du saint dimanche des Rameaux. L’auteur a placé son œuvre sous l’invocation de la Vierge, ses ambitions littéraires sont des plus modestes, il se contente d’être la main débile qui balance l’encensoir et qui sème des fleurs sur le chemin où Dieu doit passer. Eh bien ! malgré toutes ces précautions si parfaitement mystiques, nous respirons encore à travers les vapeurs de l’encens une atmosphère profane et le souffle très mondain des souvenirs ; cette lecture ne serait peut-être pas sans danger pour des pénitens encore émus de leur passé.

Pierre Saintive est arrivé à l’âge où l’on songe à se placer, à prendre femme ; c’est une situation embarrassante et grave. Le carillon de Rabelais, marie-toi, ne te marie pas, résonne à son oreille. — Je voudrais me marier, dit ou plutôt écrit Pierre Saintive à un sien ami pour lui faire part de ses perplexités, mais je redoute ces unions commerciales où l’on ne met en commun que des sacs d’écus… Les personnes les plus délicieuses sont bien