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DU MOUVEMENT CATHOLIQUE.

saluer légèrement poète l’homme sur qui pèsent de si graves devoirs. Nous préférons pécher par trop de modestie, et croire que la France compte un écrivain de moins. Les poètes sont rares aujourd’hui, même en Bretagne, où les rimeurs ne manquent pas, et malgré notre vif désir d’ajouter un nom à la liste des génies contemporains, nous attendrons pour cela des découvertes plus sérieuses que celles de la critique néo-catholique.

C’était peu de ramener la Muse à l’église, on l’a conduite au séminaire. Il y a quelques années, le poète n’était encore que prophète : aujourd’hui il est prophète et missionnaire. Il dédiait ses volumes à M. de Lamartine : il les dédie à la Vierge. Voulez-vous voir l’esthétique néo-chrétienne pratiquée dans toute sa rigueur ? Ouvrez le Saint Rosaire médité, par M. Louis Veuillot. La poésie n’y passe que sous le couvert de la prière. C’est le chapelet en main que le barde ultra-catholique égrène les rimes de ses litanies. L’auteur et l’éditeur (le frontispice nous l’apprend) se sont unis pour déposer ce volume aux pieds de la Vierge. Rien n’est épargné pour simuler une de ces publications naïves où la piété du peuple cherche un guide devant l’autel. Des méditations sur les mystères, entremêlées de vers barbares, remplissent le tiers du volume. Puis viennent des stances sur la nativité, la présentation, l’épiphanie. À la simplicité près, M. Veuillot nous rend la prose rimée des cantiques ; son livre ne s’adresse qu’aux dévots, l’art a voulu s’effacer devant la foi. Mais ne nous hâtons pas d’applaudir à cette abnégation. Les dévots sont un public tout trouvé, toujours empressé, toujours indulgent. Écrire pour eux, c’est gagner des lecteurs et du temps ; en abdiquant la prétention littéraire, on s’épargne bien des efforts ; seulement il ne faut pas s’exagérer les facilités du genre. C’est encore un secret que d’atteindre à cette humble éloquence. L’auteur du Saint Rosaire s’est trompé, s’il a cru s’élever aisément des brusqueries du pamphlet politique aux tendres épanchemens de la prière. L’hymne sied mal à une voix enrouée par les colères de la presse, et le plus modeste livre d’heures parlera toujours aux ames pieuses une langue qui n’est pas celle de M. Veuillot.

Dans cette voie où l’ode se transforme en cantique, M. Veuillot n’a pas marché seul. L’auteur de travaux consciencieux sur la poésie biblique, M. Guillemin, a saisi d’une main plus zélée qu’heureuse la lyre chrétienne, qui n’a que faiblement résonné sous ses doigts. On ne s’est pas contenté d’imiter les livres saints, on a voulu les traduire, et dans cette tâche plus modeste on n’a guère mieux réussi. En s’attaquant au livres de Job et de Ruth, MM. de Gramont et de Belloy n’ont fait que transformer en vers d’album quelques-unes des plus belles et des plus simples pages de la Bible. M. de Peyronnet, qui traduit Job en ce moment, sera-t-il plus heureux ? Une femme aussi (où s’arrêtera l’ambition féminine ?), Mme la marquise du Lau, nous a donné, dans un volume de Poésies religieuses, une paraphrase du Dies Iræ, des cantiques sur la mort, sur le péché, sur la foi. Nous sommes fâché de le dire, mais les Poésies religieuses rappellent moins les modèles du lyrisme sacré que les froids versificateurs de l’empire. C’est dans un style préten-