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REVUE DES DEUX MONDES.

J’emporterai de plus ma férule et pour causes,
Je prétends avec Dieu causer de bien des choses.

Il y avait du montant et de la verve dans ces pages légères ; il y avait mille qualités ingénieuses que le temps n’a pas altérées et qui gagnent même à se produire aujourd’hui dans des conditions purement littéraires. Personne aujourd’hui ne saurait approuver l’esprit arriéré et anti-religieux qui a inspiré les Nouveaux Saints ; mais on sera unanime à y reconnaître l’une des plus spirituelles et des plus charmantes satires qu’il y ait dans la langue française.

Quand je fais ainsi sa part à Chénier, il n’entre aucunement dans ma pensée de prendre parti pour cette poésie taquine et sans grandeur, pour cette résistance impuissante au besoin impérieux qu’avait la société de retrouver ses croyances, de s’agenouiller devant son Dieu. Après le vide profond que de pareils ébranlemens avaient laissé dans les ames, on comprend que le Génie du christianisme ait été accueilli avec enthousiasme, et qu’on n’ait pas seulement salué dans Châteaubriand un écrivain de génie, mais un restaurateur de la pensée religieuse. Ce qu’il est bon seulement de rappeler, c’est qu’au sortir d’une révolution qui avait fermé les églises, au sortir d’une philosophie qui en avait voulu chasser Dieu, il était inévitable que les tentatives religieuses rencontrassent de la part de beaucoup d’esprits, même honnêtes et bien faits, l’hostilité ou au moins la défiance. Chénier avait vu dans la révolution française ce qu’on y avait vu de son temps, c’est-à-dire le triomphe du peuple sur la monarchie et sur le clergé. Quand la monarchie reparut accompagnée du clergé, il crut retrouver la situation de 89. De là son rôle agressif et ses boutades satiriques.

Marie-Joseph ne se serait pas rangé de lui-même entre les adversaires déclarés de la restauration religieuse et monarchique, que les partisans même de cette restauration, par l’âcreté de leurs attaques, l’auraient vite poussé à ce rôle. On sait avec quelle chaleur et quelle amertume la philosophie du XVIIIe siècle et ses adeptes étaient alors poursuivis dans les livres, dans les journaux, dans les salons. De tous, Chénier fut peut-être celui envers qui on se dispensa le plus facilement de toute espèce d’égards. Pour en juger, il suffit de demander à Geoffroy en quels termes il a coutume de s’exprimer, quand on reprend par hasard une des pièces de Marie-Joseph. Ce n’est jamais l’écrivain seul, c’est l’homme encore qui est brutalement, vilipendé. Ainsi à propos de Henri VIII : « Comment les honnêtes gens peuvent-ils voir cette mascarade sans alarmes ?… Cette muse agiote les succès… Il y a des