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père, à une victime ? Et cependant la funèbre expérience de chaque jour ajoutait chaque jour à la conviction de Marie-Joseph. Marie-Joseph, de son côté, ne sut point se résigner à ce dévouement du silence, à cet intérêt négatif : quoiqu’il fût lui-même (je me sers des propres mots de M. Daunou) cité, dénoncé, recherché, quoiqu’il fût inscrit à son rang sur une des listes de proscription, il ne cessa pas un seul instant de faire en secret les démarches les plus persévérantes. C’était son unique pensée. S’il n’osait pas aller lui-même à Saint-Lazare consoler André, lui faire tenir ce mot à travers les barreaux qu’attendait le pauvre captif, c’était pour ne pas éveiller l’attention : le silence était la première condition du salut. Chénier, au reste, n’était pas sans quelque lueur d’espérance. Il venait d’écrire le Chant du Départ dans le but de reconquérir un peu de crédit et de popularité, dans l’espoir de désarmer le comité de salut public, et (illusion de poète !) il s’imaginait que l’hymne avec lequel on gagnait des victoires aux frontières lui ferait obtenir à Paris la vie d’un seul homme, la vie d’un frère ! Ce n’était pas tout : Marie-Joseph avait fait long-temps partie de ces dîners secrets de Passy, de ces fêtes délicates et raffinées par lesquelles l’ancien fermier-général Dupin s’était attiré une certaine influence sur quelques bancs de la convention. Les membres du comité de sûreté générale, de qui dépendait précisément le sort d’André, se réunissaient là presque tous les soirs, et se distrayaient du sang par les voluptés : c’étaient Vouland, Amar, le vieux Vadier, Jagot, Louis du Bas-Rhin, tous ces agens obscurs, mais actifs, de la terreur, qui venaient dans ces orgies rire, avec des filles et des actrices, de leurs guillotinades du matin. Marie-Joseph en fit solliciter, en sollicita plusieurs : tous furent inflexibles. En ces mœurs à la fois corrompues et farouches, la complicité du plaisir n’était pas un titre à la bienveillance. Ce fut chez un de ces membres du comité de sûreté générale (je n’ai pu savoir lequel) que M. de Chénier, enfin lassé d’une si longue attente, eut la fatale hardiesse d’aller requérir, comme un acte de justice, la délivrance et par conséquent le jugement préalable d’André,

    ou trois petites inexactitudes, bien faciles à corriger. Ainsi Robespierre dit à Chénier : « Je te fais compliment du succès de Timoléon. » Timoléon, au contraire, fut, avant la représentation, prohibé par ordre même de Robespierre, et ne put être donné qu’après le 9 thermidor. On pourrait aussi relever ce mot dans la bouche de Marie-Joseph : « J’ai perdu mon temps à l’assemblée nationale. » Chénier fut seulement de la convention. Voilà de minces chicanes, de vraies chicanes de critique poète. Nous n’aurions pas noté ces vétilles, si M. de Vigny n’était pas de ceux qu’on réimprime.