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délire de la vanité. Chénier était surtout mortifié que quelques malins eussent applaudi à cet hémistiche de l’héroïne :

…… Je ne reviendrai plus.

C’était un mauvais pronostic. La foule revint pourtant. Talma, qui, par cette seconde création, entrait dans la plénitude de son génie, eût suffi à l’y amener. Il y eut donc succès, mais un succès sans enthousiasme. On le comprend, les passions politiques n’étaient plus en jeu ; l’intérêt, au contraire, reposait sur une reine jeune et belle, et c’était une ressemblance avec Marie-Antoinette, que d’odieux libelles discréditaient chaque jour dans l’opinion. Henri VIII n’était pas sans valeur : c’est même une des meilleures œuvres de l’ancien théâtre de Chénier. Si une versification artificielle et prolixe en gâte souvent le style, il y a dans le rôle d’Anne de Boleyn des vers faciles, des passages touchans, quelques accens de sensibilité qui vont au cœur. Je ne ferai aucune difficulté de convenir, avec La Harpe, que le personnage d’Henri VIII est bêtement atroce, j’accorde même volontiers à Geoffroy qu’il y a du tyran bouffon et du Barbe-Bleue dans ce prince qui gesticule pendant cinq actes pour prouver qu’il est ce qu’on ne saurait jamais être publiquement sans être ridicule ; mais deux ou trois scènes pourtant doivent être mises à part et laissent dans le souvenir une vive empreinte. Ainsi l’entrevue du roi avec Anne ne manque pas d’émotion : çà et là il y a des traits qui touchent à la grandeur.

Henri VIII fut un épisode tout littéraire dans le théâtre tout politique de Chénier. C’est que la composition de cette pièce datait d’avant Charles IX, et que les circonstances seules en avaient retardé la représentation. Par Calas, le poète revint à l’allusion contemporaine, à la prédication philosophique. Ce sujet de Calas semblait imposé par un codicille daté de Ferney aux héritiers poétiques de Voltaire : il revenait de droit à Chénier ; mais, pour son malheur, Chénier avait laissé transpirer ses projets. Quand il arriva, on lui avait dérobé son plan, on avait déjà donné ce titre à deux drames : saturé de ces redites, le public ne vint guère, et la pièce fut peu goûtée. Au surplus, ce n’était que justice, elle n’était pas bonne. Il n’y a assurément qu’un ami qui ait pu dire à propos de Calas : « Le talent de Chénier se développe comme son patriotisme. » Ce jour-là, Marie-Joseph, contre l’habitude, avait des intelligences au Mercure.

Dans Calas, Chénier a fait subir à sa poétique une bien dangereuse épreuve. En prenant en effet un sujet d’hier, en traduisant ainsi sur la scène des bourgeois, des hommes que plus d’un spectateur avait pu