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M. de Chénier, on dira toujours de lui : c’est l’auteur de Charles IX. » Ginguené, en ceci, était prophète. Ce triomphe subit, ces acclamations populaires, cette famosité inouie dont la plus grande part devait se rapporter aux évènemens, eurent en effet leur expiation : bientôt, avec un talent plus franc, plus tard avec des éclats de génie, Chénier trouvera l’attention plus rebelle, et après lui le silence peu à peu se fera autour de son nom. Maintenant encore sans réputation posthume, ses œuvres les plus durables, les plus sérieuses, ont à souffrir du voisinage bruyant de l’œuvre révolutionnaire, et si la curiosité de l’historien est précisément éveillée par ce souvenir, c’est là en revanche un sujet de prévention pour le lecteur. On ne saurait se le dissimuler, aux yeux du plus grand nombre, Chénier est resté l’auteur de Charles IX. En se retirant de ces bords qu’elle avait battus avec fracas, la vague a emporté après elle plus d’un monument fait pour orner ces rives aujourd’hui délaissées. Ayons confiance pourtant, le flot ne peut manquer de reprendre à l’abîme ce qu’il lui avait donné et de le restituer à la plage. La justice ne fait jamais défaut au temps.

Charles IX marque une date : c’est le dernier mot de l’école voltairienne au théâtre. — Je m’explique. La littérature, pendant tout le XVIIIe siècle, avait été un combat, une sorte de mêlée intellectuelle et politique, dans lesquels chacun s’était servi des armes les plus actives. Comme on n’avait pas la libre tribune des gouvernemens à constitution, on s’avisa de la remplacer par ce qui émeut et séduit le plus la foule, c’est-à-dire par l’éloquence et par l’esprit. La première fut réservée pour le théâtre, on garda le second pour les pamphlets. Avec son facile génie, Voltaire se saisit à la fois de ces deux sceptres. On sait la prose vive, claire, assurée, merveilleuse, de ses pamphlets. Au théâtre (je mets à part quelques chefs-d’œuvre), ce n’est plus le même homme : il est brillant, il n’est plus simple ; quelquefois même sa haine de prosateur contre l’emphase tourne à l’indulgence, et le voilà qui chausse le cothurne, qui déclame, qui se laisse aller à la pompe artificielle de la versification sentencieuse. On le sent, c’est l’éloquence qui le tente : souvent il l’attrape ; mais on s’aperçoit trop vite que c’est une éloquence de tribune, propre surtout à charmer les contemporains. Quand ce grand homme mourut, sa double dictature de pamphlétaire spirituel et de poète philosophe ne pouvait pas passer à un seul homme : une même main n’eut plus suffi à porter ce rude fardeau. L’empire d’Alexandre se partagea : Beaumarchais, qui se glorifiait d’être le typographe de Voltaire, et Chénier, dont le chef-d’œuvre devait être aussi une Épître à Voltaire, se divisèrent l’héritage. L’un