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sonnes, au parti philosophique, fut le premier prôneur et le patron de Marie-Joseph. Le vieux Le Brun, l’ami de Mme de Chénier et d’André, se trouva aussi, tout naturellement, être un de ses protecteurs ; il aurait été bien ingrat, d’ailleurs, de ne pas produire dans les lettres un jeune poète qui lui disait en une épître louangeuse :

À peine mes regards mesurent ta hauteur.

Chénier, à l’aide de ces liaisons, s’insinua bientôt auprès de l’acteur Vanhove, et fit lire par lui, à la Comédie-Française, deux petits actes en vers appelés Edgar ou le Page supposé, qui furent reçus unanimement pour être joués à la cour. Cela se passait dans l’été de 1783. Les acteurs sans doute avaient fait acte de complaisance : aussi la pièce dormit-elle dans les cartons. Chénier était aussi actif qu’impatient : il fit des visites, il réclama, il écrivit. Voici un échantillon inédit et assez piquant de cette correspondance de solliciteur : c’est un billet adressé aux comédiens[1] :

24 janvier 1785.

Il y a dix-huit mois environ qu’on a eu la bonté, messieurs, de vous lire pour moi une petite comédie qui a été, je crois, reçue unanimement. Depuis ce temps, je vous ai lu moi-même deux tragédies que vous avez bien voulu recevoir. Trois pièces du même auteur, quand il n’a que vingt ans, ne prouvent-elles pas sinon un grand talent, du moins une ardeur dont il n’y a pas encore d’exemple dans les fastes d’aucune littérature ? Si cette considération, messieurs, vous semble mériter quelques égards, j’oserai, pour la seconde fois, vous rappeler mon pauvre Page, placé deux ans de suite sur le répertoire de la cour. Mes rôles sont distribués depuis long-temps. Le secrétaire de la Comédie doit avoir une copie approuvée du censeur et de la police. La pièce enfin n’a que quatre rôles, destinés à quatre acteurs chéris du public, et qui n’auraient pas à s’en occuper long-temps pour la mettre au théâtre. Je les supplie donc de vouloir bien songer un peu à moi et à cette bagatelle, qui doit m’être chère, puisque c’est mon premier pas dans la carrière et mon premier hommage au Théâtre-Français.

« J’ai l’honneur, etc.

« Le chevalier de Chénier. »

Voilà une vanité tout au moins naïve. L’auteur n’a que vingt ans, il n’a pas besoin de le dire, on le voit de reste : un orgueil plus expérimenté eût caché son jeu. Les acteurs, toutefois, ne se rendirent pas

  1. Archives de la Comédie-Française, cart. 181.