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LA CONTREFAÇON BELGE.

Si l’on ignorait cette particularité, on apprécierait mal la nature des circonstances qui favorisèrent la conversion des principales maisons de librairie en sociétés en commandite. La part de la contrefaçon belge dans cette large curée de plus d’un demi-milliard fut, en y comprenant l’industrie de la papeterie de 14 millions à peine ; encore la moitié au moins de cette somme n’a-t-elle jamais été réalisée. Trois sociétés de librairie se constituèrent alors, la première sous le titre de Société typographique belge, au capital de 1 million, distribué par actions de 500 francs ; la seconde, qui prit le nom de Société de librairie, imprimerie et fonderie de caractères, n’émit que douze cents actions de 1,000 francs sur un capital annoncé de 2 millions ; la troisième enfin, appelée Société belge de librairie, imprimerie et papeterie, a obtenu un capital de 1 million 500,000 francs. Dans la même année, d’autres spéculateurs combinèrent une quatrième société en dehors des élémens de succès que renfermait seule la clientelle acquise à la contrefaçon ; elle fut dissoute presque aussitôt après avoir été constituée. Aussi ne la citons-nous que parce qu’elle n’avait prétendu à rien moins qu’un capital de 2 millions, et qu’elle faillit l’obtenir. La durée de chacune de ces entreprises est fixée à vingt années. Plus tard, malgré cette large razzia de capitaux opérée par les principaux éditeurs de Bruxelles, deux nouvelles sociétés de librairie purent s’élever encore. Ce sont des ateliers secondaires de contrefaçon. L’une, sous le nom de Société encyclographique pour les sciences médicales, parvint à glaner 500,000 francs en 1837, et l’autre, la Société nationale pour la propagation des bons livres, fondée l’année suivante, est une librairie catholique dont un capital nominal de 4 millions représente l’importance.

La contrefaçon belge avait déployé fort à propos ses voiles au vent des entreprises industrielles. Deux années plus tard, une catastrophe inattendue, quoiqu’elle eût été facile à prévoir, aurait rendu sa grande opération impossible. Le 17 décembre 1838, en effet, la banque de Belgique, rivale trop ambitieuse de la puissante Société générale[1], succombait sous le poids de ses nombreuses entreprises, qu’elle n’avait pas proportionnées à la taille d’un très mince capital ; c’est elle qui avait aidé la contrefaçon de son patronage. La déconfiture de la plupart des sociétés industrielles date du jour de la suspension des paiemens de cette banque ; le crédit en reçut une mortelle atteinte, le public ayant passé, comme c’est l’usage, d’une crédulité folle à la plus injuste méfiance ; et comme encore, à l’heure où nous écrivons, l’industrie sérieuse ne s’est pas remise du contre-coup de ce fâcheux évènement.

Pour les sociétés de librairie, elles ont assez bien soutenu le choc, en ce sens que l’avilissement de leurs actions n’a pas eu pour effet de ralentir leurs travaux. Toutes celles que nous avons nommées subsistent encore et n’ont guère éprouvé de modifications, si ce n’est la Société typographique, qui avait reçu, mais avant la crise, un accroissement considérable par l’ab-

  1. La grande banque fondée par le roi Guillaume.