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LA CONTREFAÇON BELGE.

rober et qu’il avait toujours la ressource de désavouer ensuite, et bien souvent le véritable contrefacteur était l’éditeur français, qui s’était flatté ou avait espéré de bonne foi d’arriver le premier en date. Aussi long-temps que la presse ne fut pas libre en France, on comprend qu’il importait à une littérature dont la prépondérance consolait un grand peuple de son abaissement politique, qu’une librairie française existât hors de la portée des officiers du parlement et des gens du roi. Si la contrefaçon proprement dite, facilitée par la présence de cette industrie, causait un tort matériel à quelques écrivains, n’était-il pas plus que balancé, d’un autre côté, par le service moral que celle-ci rendait à l’intelligence proscrite en lui offrant l’élément qu’il lui faut pour vivre, la publicité à l’ombre de la liberté ?

Telle est la première période de la contrefaçon des livres français. Elle finit avec la monarchie absolue ; la révolution de 89 rompit, en même temps que bien d’autres chaînes, ces entraves qui avaient gêné l’action de la presse sans arrêter la marche de la pensée. La contrefaçon belge occupe la seconde période. Entre ces deux époques viennent se placer les temps de la république et de l’empire, qui ne furent point favorables au développement de cette infatigable industrie. Il arriva même un moment où l’on put croire qu’elle ne renaîtrait point. Ce fut quand Napoléon put commander en maître absolu aux gouvernemens qu’il avait bien voulu laisser en Europe. Sans même jeter les yeux sur une question internationale dont la solution nous semble si difficile aujourd’hui, il la trancha à la façon des Alexandres. Par malheur, à cette merveilleuse époque, la littérature était dédaignée ou asservie, et les seuls grands écrivains qui se soient élevés comme des palmiers solitaires dans le désert de l’art impérial étaient précisément ceux que l’ennemi des idéologues eût vu dépouiller sans trop de déplaisir du fruit d’un labeur détesté. La longueur du bras du conquérant fit moins pour réduire au néant une industrie si prospère jadis que la funeste influence de son despotisme sur le développement de la pensée. En voyant l’aridité littéraire de ce noble règne et l’inaction de ces presses si bruyantes naguère, quand seules elles suffisaient à remuer le monde, ne serait-on pas tenté de s’écrier : Heureux les temps littéraires où la contrefaçon peut fleurir !

Aussi l’industrie équivoque dont Bruxelles est le siége est-elle contemporaine de la reprise du mouvement intellectuel en France. La formation du royaume des Pays-Bas vient de placer à peine sous des lois étrangères le pays le plus heureusement situé pour un commerce actif de librairie, que la contrefaçon s’y élève tout d’un coup aux dépens des écrivains français. L’auteur du Génie du christianisme en est la première victime. Un libraire contrefait ses romans d’Atala et de René ; il ose envoyer les premiers exemplaires de son édition à M. de Châteaubriand, alors de passage à Bruxelles. C’est en vain que Louis XVIII adresse à ce sujet, en son nom personnel, une réclamation à son frère des Pays-Bas ; la contrefaçon gagne son procès, les contrefacteurs arrivent en foule. Pour ne point parler ici de la cause constante qui permet en tout temps l’établissement de la contrefaçon à