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le plus haut usage du génie de la femme. C’est sur les femmes illustres de cette trempe que je voudrais rassembler les documens les plus authentiques, y choisissant les traits les plus frappans pour en composer des biographies sobres et fidèles. J’y joindrais les pages les plus caractéristiques échappées à leur plume, soit dans des lettres confidentielles, soit dans des mémoires posthumes. Enfin, selon le goût de notre temps, qui est aussi le mien, chaque notice serait accompagnée d’un autographe comme d’un portrait. Chacune de ces dames serait ainsi peinte au physique et au moral, avec sa physionomie particulière et avec le costume du temps. Je m’efforcerais aussi de marquer avec soin le rapport des personnages de cette galerie à ceux de la galerie de Perrault, j’entends pour l’esprit et le caractère, en sorte que le lecteur de ces deux ouvrages suivrait de biographies en biographies et de portraits en portraits le cours du siècle depuis la mort d’Henri IV jusqu’à celle de Louis XIV, et traverserait cette grande époque en cette double et glorieuse compagnie.

On y verrait d’abord les hautes et sérieuses figures des contemporaines de Sully, de Descartes, de Bérulle, de Richelieu et de Corneille. Au premier rang seraient deux femmes diversement admirables : ici la bienheureuse Mme de Chantal, digne élève de saint François de Sales, fondatrice de l’ordre charitable de la Visitation, née comme sainte Thérèse pour souffrir et aimer, consoler et soulager[1] ; là celle qu’il m’est impossible de ne pas appeler la grande Mme Angélique, faite pour commander comme la première pour aimer et servir, la vraie sœur aînée du grand Arnauld, qui, s’étant éveillée abbesse à quatorze ans, entreprit à seize ans de réformer, comme saint Bernard, et son monastère et tous ceux du même ordre, et par-là de contribuer à la réforme générale des ordres religieux et de l’église de France ; qui, commençant courageusement la réforme des autres par celle d’elle-même, dit adieu au monde, à sa famille, à ce père qui l’adorait, dévora son cœur en silence, et ne lui permit plus de battre que pour Dieu ; capable des plus grandes choses, et n’en trouvant pas de plus grande que de se dompter elle-même, naturellement altière et volontairement humble, patiente et douce à force d’énergie, retenant la passion au sein d’un sacrifice continuel, trompant sa nature en la transportant jusque dans le renoncement à soi-même, attirant par un ascendant irrésistible tout ce qui l’approchait à sa sainte entreprise, relevant ou plutôt fondant de nouveau Port-Royal, en faisant une

  1. Née à Dijon en 1572, morte à Moulins en 1641. On a publié ses lettres en 1660. Son fils est le père de Mme de Sévigné.