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les personnages célèbres de cette grande époque. Si j’étais plus jeune, ou si j’avais plus de loisir, si je pouvais dérober quelques heures à d’austères études, je trouverais un plaisir inexprimable à composer un recueil pour servir de pendant à celui de Perrault, et que j’intitulerais à mon tour les Femmes illustres du dix-septième siècle. J’en voudrais faire un livre où il n’y aurait presque rien de moi et où je déposerais toute mon ame. Si je vaux quelque chose, c’est par l’admiration de ce qui est beau, et cette tendre et profonde admiration pour ce qu’il y a de plus beau au monde après un grand homme, c’est-à-dire une femme digne d’avoir une place à côté de lui, selon le dessein de la divine Providence, je voudrais la marquer, je voudrais la rendre, s’il était possible, contagieuse par toutes les ressources de l’art et d’une érudition sobre et choisie. L’art ici, ce serait la typographie et la gravure, et nullement la rhétorique, qui serait assez peu de mise devant ces graves ou charmantes figures. Le beau format in-folio, des portraits authentiques, retracés sous mes yeux par un burin fidèle, des biographies plus exactes encore et tout aussi brèves que celles de Perrault, à peine un modeste avant-propos sur les sources où j’aurais puisé : voilà tout l’ouvrage.

Comme Perrault, je ne ferais aucune classification ; je mettrais ce qui est beau à côté de ce qui est beau, sans rechercher si toutes ces beautés se ressemblent. Il n’y aurait pas d’autre ordre que celui de la chronologie. Le mouvement, le progrès, ou plutôt le déclin insensible du siècle y paraîtrait à découvert par la succession de ces différentes figures, d’abord si sévères et si grandes, puis de plus en plus délicates et gracieuses. On y verrait, bien mieux que dans Perrault, la différence profonde qui sépare le siècle de Richelieu de celui de Louis XIV[1]. Les femmes qui se sont distinguées par leurs écrits auraient aussi leur place dans cette galerie, mais j’y ferais une grande différence de la femme d’esprit et de la femme auteur. J’honore infiniment l’une et j’ai peu de goût pour l’autre. Ce n’est pas que je sois de l’école de Molière sur les femmes. L’homme et la femme ont la même ame, la même destinée morale ; un même compte leur sera demandé de l’emploi de leurs facultés, et c’est à l’homme une barbarie et à la femme un opprobre de dégrader ou de laisser dégrader en elle les dons que Dieu lui a faits. Les femmes ne doivent-elles pas savoir leur religion, si elles veulent la suivre et la pratiquer comme des êtres intelligens et libres ? Et dès que l’instruction religieuse leur est non pas permise,

  1. Voyez, sur cette différence, les Fragmens littéraires, Paris 1843 : Lettres inédites de la duchesse de Longueville, p. 282.