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héros de l’Arioste et du Tasse, où les personnages de la Gerusalemme et de l’Orlando, harmonieusement disposés par Cornelius en groupes respectifs, représentaient en vivans tableaux les principales scènes des deux épopées, tandis que du dehors les voix les plus brillantes, dirigées par le maëstro, venaient en aide à la pantomime, dont elles exprimaient en duos et cavatines les sentimens et les passions. Que dites-vous de l’idée et de cet art complexe ? Voilà qui est allemand, j’imagine. Il va sans dire que les noms les plus illustres de l’aristocratie prussienne figuraient dans ce programme, un peu conçu, comme on voit, à la manière de ces fameux intermèdes de l’aimable cour de Weimar, où Goethe amalgamait ensemble pêle-mêle les personnages de Schiller, de Wieland et les siens, où Musarion et la Fiancée de Messine, le docteur Faust, Oberon et Guillaume Tell, défilaient sous la baguette féerique de la jolie nymphe de l’Ilm, en récitant chacun quelque élégante strophe en l’honneur de la circonstance. M. Meyerbeer, dans son ardeur de faire oublier à son souverain l’empressement avec lequel l’auteur de Robert-le-Diable et des Huguenots recherche les succès de Paris, M. Meyerbeer a composé toute une partition nouvelle à cette occasion. On parle, entre autres morceaux célèbres, d’une marche héroïque au moment où le cortége se déploie, qui passe déjà en Allemagne pour la plus belle symphonie que l’illustre maître ait jamais écrite. Quel dommage que M. Meyerbeer, qui se trouvait dernièrement à Paris, n’ait pu retarder son départ à l’ouverture des concerts du Conservatoire, dont le fragment instrumental en question eût enrichi cet hiver le répertoire un peu monotone ! Pour en revenir à l’Académie royale de musique, en attendant le nouveau ténor à la recherche duquel le directeur explore, dit-on, l’Italie, on prépare un opéra en deux actes de M. Halévy, la Fortune vient en dormant. Hélas ! viendra-t-elle ? On annonce déjà, comme un des attraits les plus piquans du nouvel ouvrage de l’auteur de Charles VI, que Mme Stoltz s’y montrera sous le costume badin d’un étudiant de Salamanque : agréable fantaisie renouvelée de la Xacarilla de M. Marliani et de je ne sais plus quelle parade musicale de M. Berlioz. À merveille, mais, puis après ? car une partition en deux actes, fut-ce même Le Comte Ory, n’exercera jamais qu’une influence secondaire sur les recettes de l’Opéra. Après viendra un ballet de M. de Saint-George pour la Carlotta… Mais enfin ? Eh bien ! on ira trouver M. Scribe, on lui demandera une idée neuve, et M. Scribe exhumera en souriant, du fond de ses cartons, un certain Duc d’Albe, pendant de cet infortuné Dom Sébastien, lequel Duc d’Albe sera mis à l’instant en musique par M. Donizetti, et exécuté, j’allais dire dans les vingt-quatre heures, par Duprez, Massol et Mme Stoltz. Quel avenir pour un théâtre !

L’Opéra-Comique a trouvé, dans la reprise d’un opéra du bon vieux temps, un de ces incroyables succès que l’engouement du public explique seul. Déjà, l’an dernier, l’immense réussite de Richard Cœur-de-Lion avait donné l’éveil et mis le directeur sur la piste de l’ancien répertoire, véritable mine à exploiter, mais où cependant il faudrait savoir puiser avec plus de discerne-