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REVUE MUSICALE.

fraîcheur et de jeunesse, comme si l’on parvenait à cette perfection du talent en conservant sa voix dans une boîte d’or. Passons en revue tous les grands chanteurs qui depuis vingt ans ont illustré la scène, en citerez-vous un seul parmi eux auquel on n’ait pu adresser le même reproche ? Davide avait une voix glapissante et nasillarde, une voix insupportable, lorsque l’inspiration du moment ne l’échauffait pas ; Duprez s’était forgé la sienne à force de travail, et Rubini lui-même puisait dans des moyens tout artificiels la faculté d’épancher en mélodies ces trésors d’émotion que renfermait son ame. Ces études sans fin, par lesquelles un grand chanteur se forme, ces exercices de tous les jours et de toutes les heures, cet effort incessant, en donnant à la voix la souplesse, la méthode, en lui apprenant à se régler, à se rassembler, comme on dit en style d’équitation, à devenir en dernier terme l’instrument passif de votre volonté, doivent nécessairement lui enlever à la longue cette fleur de jeunesse, ce timbre sonore et pur de la première émission. Mais, puisque la nature le veut ainsi, qu’y faire ? Se résigner sans doute ; car, qu’il s’agisse de la Persiani ou de Duprez, de Rubini ou de Mme Damoreau, on n’aura jamais de grands maîtres dans l’art du chant qu’à cette condition.

D’ailleurs, Ronconi est peut-être un des virtuoses parvenus à l’apogée du talent chez qui cet inconvénient d’un travail excessif ait le moins laissé de traces. Il suffirait, pour s’en convaincre, de l’entendre dans ces tenues où sa voix (chose rare surtout chez les basses et les barytons) file le son avec cette netteté de la Grisi autrefois. En outre, l’organe de Ronconi n’a rien de cet accent guttural et saccadé que l’on reproche à Barroilhet, et qui s’éloigne fort de la manière ample et sûre de la jeune école italienne, dont le calme et l’aplomb sont les deux qualités dominantes. Entre Ronconi et Barroilhet, tous les deux coryphées de ce style nouveau dont je parle, artistes supérieurs tous les deux, il n’y a du reste qu’une nuance : vous savez, cette nuance de bleu qui distingue une soucoupe de vieux Sèvres.

Sans doute, l’administration du Théâtre-Italien nous donnera prochainement le Torquato Tasso, de M. Donizetti, l’un des meilleurs rôles du répertoire de Ronconi, celui qui lui valut ses plus brillans triomphes en Italie comme à Vienne. Puis nous demanderons à l’entendre dans le bouffe, dans le Figaro du Barbiere, par exemple. Quelles charmantes représentations du chef-d’œuvre comique de Rossini on va pouvoir organiser, maintenant que Lablache nous revient ! Quel pétulant et svelte Figaro le vieux Bartholo aura trouvé là ! M. de Candia chanterait le comte comme par le passé, et la Grisi reprendrait son joli rôle de la Rosina ; quant à don Basilio, Fornasari semble fait à souhait pour le représenter. Fornasari, nous le savons, ne réussit point dans le bouffe, et le célèbre fiasco essuyé par lui à Londres l’été dernier dans un certain duo du Matrimonio segreto n’est pas de nature à l’engager à tenter de nouveau le public sur ce point. Toutefois, ce rôle de don Basilio ne tient au genre ni par la verve, ni par le brio, deux qualités absentes