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possédait au plus haut degré, et qu’avec tout son génie, ou plutôt à cause de ce génie dont le feu la dévorait, la Malibran n’aurait jamais eues. Quant à la Persiani, c’est toujours le mécanisme le plus rare qui se puisse imaginer, et, à ce compte, l’administration a bien fait de la retenir, d’autant plus que cette singulière faculté d’éblouir les oreilles par toutes sortes de trilles et de fusées chromatiques semble encore avoir grandi chez elle cette année. La Persiani est une curiosité, même sur la scène italienne, un véritable objet de luxe, même sur ce théâtre où tant de voix de sirènes ont égrené leurs merveilleux colliers.

Au début de la saison, le public des Bouffes, un peu embarrassé de se trouver pris à l’improviste, et d’avoir à se former une opinion sur des chanteurs entièrement nouveaux pour lui, le public des Bouffes affectait une réserve extrême, et, s’il émettait un avis, c’était avec prudence et de ce ton équivoque qui n’a garde de vouloir engager l’avenir. Évidemment, les gens qui disposent de l’opinion n’avaient point encore parlé. Le public des Italiens puise assez volontiers ses impressions de dédain ou d’enthousiasme dans le monde, qui s’inspire à son tour de trois ou quatre dilettanti féminins dont l’aimable voix a force d’oracle en pareille question. Pour ce public-là, les sentences des journaux ne signifient absolument rien, et tel feuilletoniste qui trouve plaisant de renverser chaque matin l’idole de la veille, et d’amuser les badauds de je ne sais quelle partie de raquettes dont son opinion est le volant, perdrait ici parfaitement sa peine : les journaux auront beau s’être prononcés d’avance ; pour qu’on sache définitivement à quoi s’en tenir sur le mérite des uns et les prétentions des autres, pour que des classifications légitimes s’établissent entre les triomphateurs et ceux qui doivent simplement réussir, il faudra que le monde revienne et que les salons s’ouvrent. Laissez donc faire le public des premiers jours, et il va vous mettre d’emblée Ronconi et Salvi sur la même ligne, arrêt sublime que les journaux du lendemain ne manqueront pas de sanctionner à son de trompe. Trop heureux Ronconi s’ils n’accordent point la palme à Salvi, dont le talent, d’un ordre inférieur, devait nécessairement être plus remarqué de la foule. — Salvi est un ténor élégant, d’une voix agréable et pure, mais qui manque de puissance, et surtout de cette verve originale, de cet entraînement, de ce diable au corps de Voltaire, qui caractérise les grands chanteurs. Entre Ronconi et Salvi, il y a la différence du maître à l’élève. Ronconi, lui, est un véritable maître, un de ces hommes qui, comme Davide, comme Rubini, comme Duprez, impriment au chant de leur époque une physionomie, un tour particulier, et qui inventent dans leur art, un de ces hommes qui chantent par le cœur avant de chanter par la voix, témoin Duprez, chez lequel tout fut artificiel. Salvi, au contraire, se contente de suivre paisiblement la route battue : il a une voix, donc il chante, puisque du temps où nous vivons, les cavatines se paient à prix d’or. Du reste, la même remarque pourrait se faire à propos de M. de Candia, délicieux chanteur, et qui, bien qu’en voie de progrès d’année en année, ne dépassera pourtant jamais, je le crains bien, certaines