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derniers mouvemens des légitimistes ? Pas grand’chose, dites-vous en souriant. Pour moi, je vais plus loin ; je dis que cette manifestation est un succès pour nous, puisque, de quelque côté qu’on l’envisage, elle ne démontre que l’isolement et la faiblesse de nos adversaires. Et ne croyez pas qu’en réduisant à sa valeur intrinsèque cette petite affaire, je veuille amoindrir la culpabilité morale et légale de ceux qui y ont pris part. Non, je ne crois pas que le mépris des institutions doive être excusé même chez des adversaires dont on a le droit de mépriser l’impuissance ; mais, écartant ces considérations, je me réjouis volontiers de l’occasion que nous offrent les derniers adversaire de la révolution de juillet de signaler par leurs actes la force et la stabilité de l’ordre de choses qui a été établi en 1830. Je me réjouis que par les représentans significatifs qu’il a envoyés à Londres, le parti légitimiste ait averti lui-même le pays de la comédie qu’il joue ici, tantôt en flattant les passions populaires, tantôt en essayant de courtiser les sages instincts des classes moyennes. Je me réjouis de voir que nous avons contre nous ceux qui se font appeler dans le Morning-Post la noblesse française ; j’espère bien que c’est la dernière représentation que nous donne cette caste. Avez-vous quelquefois réfléchi au rôle caractéristique que la noblesse a joué dans l’histoire de notre pays ? Il se peut que cette noblesse ait rendu des services à la civilisation à l’origine du moyen-âge, à l’époque des invasions des Normands par exemple. Certainement, monsieur, ses services ne vont pas au-delà de cette époque. Il est remarquable, au contraire, que tous les progrès politiques et sociaux accomplis depuis lors par la France l’ont été contre la noblesse et malgré la noblesse. Les plus mauvais roi, les caractères les plus sombres, un Philippe-le-Bel, un Louis XI, un Richelieu, sont excusés par l’histoire pour les coups qu’ils ont porté à la noblesse. Lorsqu’elle n’a plus été en mesure de s’opposer à la formation de l’unité du territoire et du pouvoir, ses prétention égoïstes ont combattu jusqu’au dernier moment l’établissement de l’équité dans les institutions politiques. Et a-t-elle au moins racheté, comme l’aristocratie anglaise, comme le patriciat romain, par une application laborieuse à de grands intérêts, par les hautes qualités de l’esprit et du caractère, l’âpreté de son égoïsme ? Non ; dès que la victoire du pouvoir royal fut assurée, comme ces Romains dégradés dont parle Corneille, ils mirent toute leur gloire dans une émulation de servilité. Montesquieu a fait de l’honneur le mobile de la vieille monarchie française. Depuis Louis XIV, le mobile de la noblesse française n’a plus été que la vanité. Administrer le pays, di-