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compter sérieusement avec soi. Mais, monsieur, le parti légitimiste ne l’entend pas de cette façon : il faut lui faire honneur de l’originalité de sa manière. Certainement elle est sa propriété, elle lui est traditionnelle. En 1791 aussi, il était question de montrer sa force, et ce fut en allant à Coblentz, dans l’espoir d’en revenir sous la protection de la gendarmerie européenne, que le bon ton crut y réussir. Aujourd’hui, le bon ton fait ses preuves à moins de frais. Un voyage de quinze jours à Londres lui suffit, et, au lieu de la levée d’armée de Brunswick ou de Condé, cela n’aboutit plus qu’à ériger le journal le plus décrié de Londres en livre d’or de la noblesse française !

C’est d’ailleurs l’instinct, et un instinct qui ne le trompe pas, qui porte le parti légitimiste à sortir du sol français, à s’isoler de la France lorsqu’il veut se tâter, se reconnaître et se montrer au monde. Par quelle racine vivace les légitimistes tiennent-ils au pays ? Y ont-ils rien de ce qui fait l’énergie et prouve la vitalité d’un parti ? Un parti vivant, monsieur, ce sont des principes ; un parti, ce sont des intérêts ; un parti, ce sont des hommes riches des ressources de l’esprit, forts par le caractère, puissans surtout par l’application incessante de leurs facultés à un but aussi résolument poursuivi que nettement déterminé. Connaissez-vous les principes des légitimistes ? Pouvez-vous dire qu’ils aient la clientelle d’un seul grand intérêt en France ? Ont-ils, recrutent-ils des hommes ?

Si je demande des principes aux légitimistes, ne croyez pas que je me méprenne sur ce que les partis appellent de ce nom. Je suis loin d’attribuer aux idées une influence désintéressée en politique. Je ne connais que les religions qui aient ému les hommes avec de pures idées, et encore les idées religieuses, à le bien voir, ne s’adressent-elles qu’à des intérêts moraux étendus par la foi à des proportions qui dépassent les bornes de ce monde et de cette vie. Mais je vois dans les principes d’un parti la formule logique des intérêts qu’il représente, et à ce point de vue ils sont un symptôme significatif et ont une valeur positive. Chez les partis vigoureux, cette formule est simple, nettement posée, soutenue avec ensemble, parce que ces partis représentent des besoins sociaux qui doivent être satisfaits. Reconnaît-on à ces qualités les principes légitimistes ? C’est de celui de leurs dogmes qu’ils donnent pour le mieux arrêté qu’ils empruntent leur mot de ralliement. Ce dogme, comment l’entendent-ils ? C’est sur une question de souveraineté que leur métaphysique politique est fondée ; comment définissent-ils l’origine du pouvoir ? quelles sont leurs intentions à l’égard du système représentatif ? Sur ces questions élémentaires et décisives, vous