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LE PARTI LÉGITIMISTE ET LE JACOBITISME.

Son raisonnement serait alors celui-ci : vous ne m’empêchiez pas d’aller à Londres parce que vous ne le pouviez pas. Il suffirait aux légitimistes d’un simple retour de mémoire vers leur passé pour leur prouver qu’il ne leur est pas permis à eux-mêmes d’être dupes d’une aussi grossière illusion. Supposez que, durant la restauration, Napoléon eût été libre en Angleterre (je ne sais si c’était pour prouver sa puissance que la restauration le faisait garder prisonnier à Sainte-Hélène), supposez que des libéraux ou des impérialistes lui eussent organisé une ovation retentissante comme celle que nos jacobites viennent de dresser pour leur prétendant ; supposez que Foy, Manuel, Lamarque, fussent allés saluer l’empereur, comme MM. Berryer, Valmy, Larcy, sont allés faire leur cour au comte de Chambord, et demandez aux légitimistes si la restauration eût vu autre chose qu’une conjuration dans une pareille démarche, et si les coupables eussent mérité, à ses yeux, un autre châtiment que celui qui punit la témérité de Bories, ou au moins si les députés complices auraient échappé à la dégradation politique qu’elle infligea à Manuel pour une simple hardiesse de parole ? Est-ce parce qu’elle était forte que la restauration eût agi ainsi ? Et la révolution de juillet elle-même, si les légitimistes avaient tenté en 1832 la démarche qu’ils viennent de faire, eût-elle pu les traiter, comme aujourd’hui, avec une dédaigneuse indulgence ? Non, monsieur, et c’est précisément parce que les partis ne peuvent pas ne pas être défians et sévères lorsque leur existence est sérieusement menacée. C’est qu’on ne peut être tolérant en politique envers les ennemis que l’on craint : c’est que les partis ne peuvent être débonnaires que le jour où leur victoire est assurée, et que la clémence est en eux la preuve la plus décisive comme le plus précieux attribut de la force. Cette preuve, l’établissement actuel pourrait remercier les légitimistes de lui avoir offert une occasion signalée de la donner.

Étrange pensée ! sous un régime représentatif, dont l’objet est précisément de constater les forces des divers intérêts en présence dans le pays, et qui leur donne tant de moyens légaux et réguliers de s’exprimer, d’aller faire acte de vie hors de France, en Angleterre ! Quoi ! en France, l’épreuve n’est-elle pas assez souvent, assez généreusement offerte aux légitimistes ? N’est-ce pas au plus fort que nos institutions ouvrent le pouvoir, tandis que, par les sages combinaisons de leur mécanisme, elles ont pourvu à ce que le plus fort ne fût jamais que le plus digne ? soyez forts dans la commune, soyez forts dans le conseil-général, soyez forts dans la chambre élective. Mon Dieu ! c’est là et ce n’est que là que l’on se compte et que l’on fait